• L'Ecrin des Songes - La Légende de Xaheya : Orgueil

    Second tome de la première trilogie de la saga L'Ecrin des Songes de Virginie Zurbuchen, de genres Space Opera et M/M réédité en autopublication en Juin 2016.

    Onze mois après leur fuite du vaisseau principal Pirate Stellaire des EsclavagistesXaheya Kaal et Kay Say-Shyi ont rejoint les rangs des Combattants de la Liberté et achevé leur formation militaire. Leur Commandant Puum du bâtiment Sanctuaire déstabilise l'intégrité de la communauté, des membres du personnel aux officiers, par ses répliques méprisantes et ses décisions discriminatoires vis-à-vis des Papillons et des Wureks, en contradiction totale avec les principes idéalistes qu'elle est censée défendre. La Guerre d'Exode prend une tournure inattendue et meurtrière, lorsque ce dernier met Sikhud, la ville la plus peuplée de la planète P1, littéralement à feu et à sang.

    Le personnage de Xaheya Kaal est emblématique pour la saga L'Ecrin des Songes, mais également pour son auteure. Son caractère fier s'oppose viscéralement à sa condition d'esclave, inhérente à l'espèce des Papillons depuis des temps immémoriaux, au point de lui faire obtenir le rang de Quatrième Caste et les droits supplémentaires que celle-ci lui octroie, pour la première et unique fois dans toute l'Histoire du système d'Exode. La soumission totale de ses congénères aux ordres abjects du Lieutenant Aeria à l'encontre des Wureks lui inspire une répulsion plus vive encore qu'envers l'asservissement même, qui le décide à s'engager activement dans le conflit opposant les Combattants de la Liberté aux Esclavagistes ; mais les terribles décisions qu'il prend dès lors oppresseront sans répit sa conscience sous une culpabilité lourde, égale à sa sensibilité à fleur de peau. Son orgueil et sa détermination - tournant souvent à l'obstination - ne laissent indifférent aucun des personnages de l'intrigue qu'il croise, certains entrevoyant la tragédie vers laquelle le Dieu des Egarés, divinité du Sentier des Etoiles attribuée aux Papillons insoumis, semble le conduire.

    L'esclavage des Papillons par les Kaekas a divisé les populations du système d'Exode dès l'arrivée de ces derniers, quatre siècles avant le début de l'intrigue de la première saison La Légende de Xaheya. Les Combattants de la Liberté qui veulent son abolition, et les Esclavagistes qui prônent son maintien se sont affrontés au cours de batailles spatiales ou par l'intermédiaire de sabotages logistiques, dans les limites d'une guerre latente loin des planètes habitées et sans réelle incidence diplomatique. L'embrigadement forcé des Papillons par le Lieutenant Aeria, puis la révélation de l'Ecrin des Songes entre les mains de celle-ci rendent soudain les circonstances plus inquiétantes et obscures, obligeant non seulement les gouvernements fédéraux, mais aussi les citoyens indifférents à émettre leurs positions. L'auteure développe le débat sur l'esclavagisme au-delà des principes consensuels des démocraties modernes concernant les libertés et droits des peuples. En effet, la soumission des Papillons à leurs maîtres repose sur une croyance religieuse ancestrale, dont ils se sont imprégnés au fil des générations jusqu'à ne pouvoir s'imaginer vivre autrement ; jusqu'à protester vivement contre la seule idée d'une réflexion subjective... jusqu'à perpétrer des actes ignobles contre d'autres opprimés, autant de fois qu'ils en reçoivent la consigne, sans envisager une seconde malgré leurs remords à désobéir. Mais que penser de ceux qui s'évertuent à leur imposer une liberté dont ils ne savent que faire, et qui les suppriment de sang-froid lorsqu'ils refusent de quitter leurs propriétaires ?

    Les personnages créés comme les thèmes abordés par Virginie Zurbuchen ne sont jamais absolus et peuvent facilement dévier vers un dénouement tout à fait contradictoire. Tandis que l'orgueil blessé du Commandant Puum le pousse à trahir les fondements philanthropes des Combattants de la Liberté, nombreux sont les maîtres de Papillons qui soutiennent ceux-ci dans l'espoir de les retrouver après leur enlèvement par les Esclavagistes, les considérant comme des membres de leurs familles et s'inquiétant sincèrement de leurs sorts. Les populations, les planètes même d'Exode subiront les effets de la dégénérescence de ce désaccord idéologique... Mais à l'écart du champ de bataille, vers lequel toutes les attentions sont tournées, le prince Wurek Lyam Say-Shyi fomente déjà l'émergence vengeresse de son peuple persécuté et oublié de tous.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai retrouvé avec plaisir toute la perspective mature, critique et implacable propre à l'auteure dans ce deuxième opus. En parallèle des missions narrées sur P2 et P15, le lecteur se rappelle notre propre Histoire, du colonialisme en Afrique, de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis, en passant par les attentats terroristes, aux bouleversements politiques au Moyen-Orient et à la radicalisation qui ponctuent régulièrement notre actualité. Le débat est bien suscité, sans fausse délicatesse, dans le but seul d'élargir les idées et d'ouvrir les esprits, d'inspirer la perspicacité de soi et la compréhension de l'autre. Car l'Ecrin des Songes n'est avant tout qu'une boîte dorée ; ce sont les mains le détenant qui peuvent se révéler dangereuses.

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  • Attache-Moi, de Jeremy Henry

    Romance érotique contemporaine et quatrième autoédition de l'auteur, parue le 30 Juin 2016.

    Après s'être lancé dans l'autopublication avec son roman L'Ombre Dansante du Dragon en Décembre 2015, puis avoir confirmé ses débuts d'auteur indépendant avec la parution de ses intégrales Comme un Oiseau en Février 2016 et Les Liens du Sang en Mars dernier, Jeremy Henry enchaîne avec celle de deux courts récits originaux, détachés de ses sagas emblématiques et regroupés en ce seul volume. Si leurs intrigues tournent autour du même thème de la pratique du BDSM au sein du couple et de la société, elles se déroulent néanmoins dans des cadres géographiques et culturels aussi divergents que les points de vue dont elles rendent les aspirations personnelles et les conditions observées.

    Protagoniste de la première nouvelle Attache-Moi ! , l'employé de bureau Kou Miura désespère à l'idée du mariage proche et du départ définitif de son supérieur Osamu Shimizu, pour lequel il éprouve des sentiments inavoués depuis sept ans. Il décide de le ramener chez lui après une tournée des bars du quartier et de le maintenir drogué, entièrement soumis à sa volonté le temps d'un week-end, à l'issue duquel il compte le relâcher et mettre fin à ses jours... Mais le captif reprend conscience prématurément et confronte son subordonné. Dans le deuxième texte Une Folie Douce, le spécialiste en droit du commerce international Laurent Delcourt croyant séduire une superbe inconnue se réveille à l'hôtel, menotté et interloqué face au désir de vengeance du jeune Yohan Durand, qui le rappelle à un passé commun et douloureux.

    L'auteur aborde le thème de la pratique du BDSM - Bondage, Domination ou Discipline, Soumission ou Sadisme, Masochisme - au sein du couple consentant et de la société moderne de manière aussi objective qu'informée ; n'entraînant le lecteur dans aucun débat ni jugement à son propos, tout en lui exposant ses communautés secrètes, diverses figures de ligotage, les fantasmes qu'elle vise à satisfaire... les risques que l'amateurisme peut impliquer. Davantage qu'une simple préférence ou récurrence égocentrique, elle doit engager les partenaires à se considérer mutuellement, à se faire confiance et à s'investir dans leurs rapports intimes. Osamu Shimizu, à la fois décontenancé et charmé par la candeur volontaire de Kou Miura - dont il ne connaissait que la facette discrète et introvertie sur leur lieu de travail - voit son orgueil combatif exacerbé à la perspective de l'investissement personnel que réclame une relation privée dans ces codes certes singuliers, mais très précis. Son initiation appliquée au BDSM chasse alors peu à peu les appréhensions et les doutes de son soupirant, pour confirmer entre eux une complicité et un soutien indéfectibles, puis un attachement sincère et réciproque. Il en est tout autrement pour le second couple du même récit, dont le contraste entre les tempéraments respectifs s'oppose encore à celui des attentes profondes. Amateur, Osamu se retrouve à susciter chez le timide et non-initié Natsuhiro Kurosawa l'audace espiègle à laquelle aspire véritablement l'orgueilleux "Maître" du BDSM Toshiya Matsumoto ; motivant l'humour cocasse et l'effronterie ingénue qui soulignent le style d'écriture de Jeremy Henry dans les chapitres les mettant en scène.

    Bien que la romance au coeur de son intrigue s'engage d'une manière aussi déroutante que celle de Attache-Moi ! , Une Folie Douce adopte un ton résolument différent, grave et mélancolique, à l'image du farouche Yohan Durand, qui craint d'être finalement rejetté par son amant Laurent Delcourt. Lorsque ce dernier le demande en mariage et lui propose de le suivre aux Pays-Bas, le jeune homme comprend qu'il lui faut confronter son passé, source de ses angoisses intérieures, avant de quitter La Rochelle s'il veut vivre serein et heureux avec son compagnon. La pratique du BDSM est ici reléguée en arrière-plan et introduite du point de vue occidental, qui la considère telle une déviance sexuelle méprisée par la société, mais également sous-estimée par ceux qui l'abordent avec imprudence. L'ignorance des principes de santé et de sécurité, des responsabilités comme des limites de chacun, la négligence de partenaires superficiels ou occasionnels peuvent rapidement mener à la souffrance et au drame, qui s'opposent ainsi dans cette seconde nouvelle d'autant plus nettement à la jouissance et à la légèreté, dans le cadre strict d'un contrat conjointement défini et approuvé, du premier récit.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai beaucoup compté sur le style déjà connu de l'auteur en abordant cette romance érotique, rebutée par d'autres ouvrages du genre en raison de leur vulgarité exagérée et inutile. Je l'ai retrouvé avec grand plaisir fidèle à ses descriptions pragmatiques et immersives, à ses scènes aussi introspectives que charnelles, à ses rebondissements rythmés au coeur d'un réalisme désillusionné. Jeremy Henry démontre une nouvelle fois sa maîtrise rigoureuse et large des thèmes qu'il traite, mais prouve également qu'il est capable, autant que de réhausser de tendresse et d'humour la sexualité singulière de ses protagonistes, d'évoquer avec humilité et recul jusqu'aux faiblesses et aux indignités de la nature humaine.

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  • L'Ecrin Doré des Songes - La Légende de Xaheya : Justice

    Premier tome de la première trilogie de la saga L'Ecrin des Songes de Virginie Zurbuchen, de genres Space Opera et M/M réédité en autopublication le 19 Avril 2016.

    Née en 1987 en Suisse, Virginie Zurbuchen invente et illustre ses propres récits dès l'âge de trois ans. En 2006, elle se prend de passion pour la culture nippone à l'occasion de la sortie en DVD du long-métrage d'animation Final Fantasy VII Advent Children et découvre sur le Net les fanfictions de genre Boy's Love, phénomène précurseur de la communauté comme de la littérature M/M actuelle. Partant en voyage au Japon l'année suivante, plongée dans la lecture de la série graphique Crimson Spell d'Ayano Yamane, elle retrouve l'inspiration et l'ambition pour l'écriture d'intrigues originales. Les malaises de son enfance et ses ressentiments d'adulte, ses séjours réguliers en Asie, son intérêt pour l'Histoire et la Géographie rendent son style sombre, sensible et éclairé, réhaussant ses nombreux personnages de charisme et de tourments, ses décors des ombres glauques de civilisations perdues, les objets de nuances colorées ou de reflets élégants, les scènes à rebondissement de désillusion ou d'humour. L'univers de L'Ecrin des Songes prend forme sous le crayon de l'auteure, sur le carnet de notes qu'elle garde toujours à portée de main, en 2010.

    La catégorie littéraire Space Opera développe des intrigues dramatiques ou aventureuses dans un cadre spatial ou interplanétaire, scientifiquement connu ou totalement fictif, afin de pousser la réflexion sur les sujets technologiques, environnementaux et sociaux abordés de manière récurrente dans le genre Science-Fiction au-delà des seuls enjeux de l'Homme, de son mode de vie égocentrique et de ses tendances conformistes. Reconnue pour être méprisée durant la Seconde Guerre Mondiale, elle a gagné en popularité dans les années 60 grâce au roman Dune de Franck Herbert et à la diffusion des premiers épisodes de la série télévisée Doctor Who ; l'ambition et la rigueur dont bon nombre d'écrivains - tels Dan Simmons, Pierre Bordage, Jack Vance et Scott Westerfeld - ont amplifié depuis lors la portée de leurs thèmes et la complexité de leurs personnages, ont largement contribué à ce qu'elle soit aujourd'hui représentée et exploitée dans la plupart des domaines artistiques ; de la littérature avec notamment, la trilogie Les Guerriers du Silence, au petit écran avec les séries Cowboy Bebop et Stargate SG-1, dans les salles obscures avec Le Cinquième Elément et la tétralogie Alien, en passant par la bande dessinée Sillage et les jeux vidéo Mass Effect.

    Le système d'Exode compte ainsi dix-sept planètes et deux soleils, l'un étant en fin de vie. L'arrivée de la race insectoïde des Exodiens permet aux quatre espèces déjà présentes d'accéder à une technologie supérieure, capable de rendre viables et exploitables la plupart des planètes alors inhabitables ; celle de la race reptilienne des Kaekas suscite au contraire de vives protestations à propos du statut d'esclave de leurs compagnons de voyage, les Papillons. Tandis que des villes se construisent et que des gouvernements se légitiment d'astre en astre, les Esclavagistes et les Combattants de la Liberté se regroupent, rassemblent leurs moyens et s'affrontent de façon anecdotique lorsqu'ils se croisent avec leurs flottes de vaisseaux spatiaux... jusqu'à ce que l'émergence de l'Ecrin des Songes, prototype scientifique annihilant la volonté de l'individu connecté afin de lui imposer celle de son manipulateur, commence à inspirer une vive inquiétude d'un bout à l'autre d'Exode et rende ce conflit ambigu bien plus sérieux au regard des instances diplomatiques.

    Ce premier volume figurant à peine les prémices de l'intrigue et portant le nom même de son objet emblématique donne le ton dramatique, cynique et désabusé de la saga. Les alliances tournent rapidement aux manigances, la vengeance à l'obsession, la survie d'un jeune malade à un projet d'éternité horrifique ; les causes et les valeurs deviennent absurdes ou futiles, les attachements et les désirs perdent leurs sens face à la gravité des évènements et à l'opiniâtreté de leurs acteurs... Seuls la prophétie étrange du Sentier des Etoiles qui promet le salut imminent à un peuple persécuté et le Papillon Xaheya au caractère trop bien trempé pour un esclave, esquissent une infime lueur d'espoir au coeur de la détresse et de la violence, aussi sombres et profondes que l'univers infini. 

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai découvert cette série dans son ancienne édition, peu avant la publication en Août 2013 de son ultime tome Rédemption. J'ai aussitôt été captivée par son univers complexe, travaillé au niveau des psychologies des protagonistes et des rebondissements géopolitiques de l'intrigue, comme par le style d'écriture de l'auteure, aussi précis dans ses descriptions techniques et sensorielles, que pragmatique quant aux comportements et réactions des personnages. Ainsi stimulée, l'imagination du lecteur lui représente de manière finement détaillée les décors des scènes, leurs textures et leurs milieux, puis lui fait mesurer toute l'intensité et la contradiction des émotions entières, soupçonnées ou cachées ; pour parvenir à une immersion parfaite, digne d'un grand classique du genre.

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  • Beautiful, de Christelle Verhoest

    Romance contemporaine de genre M/M, autoéditée et publiée le 26 Février 2015.

    Qu'ils se déroulent au coeur de nos sociétés occidentales modernes, de périodes historiques précises ou même, de cadres imaginaires fantastiques, Christelle Verhoest évoque à travers ses multiples récits bien davantage que le thème récurrent dans sa bibliographie de l'homosexualité. L'art cinématographique, les intrigues de pouvoir à la cour du Roi Soleil, le quotidien nomade des saltimbanques, le fil des enquêtes policières, le parcours initiatique d'un bout à l'autre des Etats-Unis... sont autant de sujets variés, spécifiques, voire sensibles que son inspiration en continuelle effervescence lui suggère d'aborder et dont sa passion littéraire, associée à sa maturité et à sa méticulosité en écriture, relève les singularités profondes et les portées intimes comme autant de défis exaltants. Pour ce roman contemporain, l'auteure s'est ainsi appliquée à rendre un homme solitaire, froid et sans visage, émouvant et attachant aux yeux de ses lecteurs.

    Loris Kerguerez, âgé de vingt-six ans, hérite de la maison de sa grand-mère décédée, située dans une modeste commune bretonne et décide de la rénover pour s'y installer, saisissant l'occasion de laisser derrière lui la superficialité parisienne qu'il ne supporte plus. Un matin, il croise un inconnu à la tête encapuchonnée, aux traits dissimulés par un foulard et surtout, aux yeux de couleur turquoise pour lesquels il a un véritable coup de foudre. Il tente de faire davantage connaissance ; mais le visage lacéré douze ans auparavant par des camarades de collège jaloux, Valentin le Croezou s'est depuis lors renfermé, isolé sur lui-même et évite absolument tout contact avec autrui, allant jusqu'à repousser avec agressivité la moindre amorce sociable. Froidement rabroué, Loris n'en reste pas moins déterminé et réussit peu à peu à se rapprocher de Valentin... Cependant, leur relation a moins besoin de temps et de courage pour se confirmer et s'affirmer, que le jeune homme blessé pour faire face à ses angoisses et se reconstruire.

    Un attachement fidèle et prévenant peut rassurer, mais ne suffit pas seul à détacher une personne des conséquences et des circonstances d'un drame ayant irrévocablement marqué sa propre existence. L'entendement sagace de ses troubles est trompeur pour un point de vue subjectif, même animé par une réelle philanthropie, qui ne peut qu'en mésestimer l'influence pathologique à défaut d'avoir vécu les mêmes épreuves, mais aussi d'éprouver et d'exprimer pareillement ses émotions. De la même manière, le déclin de l'influence des traumas ne peut s'amorcer significativement qu'en la conscience de l'individu affecté ; un environnement serein, un entourage attentif associés à des interventions psychothérapeutiques n'engageant pas l'évidence de cette amélioration, ni son efficacité à long terme. Le personnage de Valentin le Croezou est ainsi d'autant plus délicat à aborder qu'il s'est obstinément introverti jusqu'à sombrer dans le mutisme, et a repoussé tant le débriefing préliminaire du psychologue au centre hospitalier que le soutien de sa propre mère au quotidien, laissant son traumatisme instiller au fil des années l'angoisse et l'amertume dans ses gestes, la culpabilité et la terreur dans ses rêves, puis le désespoir et la résignation dans son esprit, plus profondément encore que les pointes des ciseaux de ses agresseurs dans sa chair.

    A l'image de leur toute première rencontre, les débuts de la relation entre Loris et Valentin sont de véritables chocs émotionnels pour les deux hommes, l'audace enthousiaste du premier s'opposant violemment à la méfiance craintive du second. Poussé à y réagir, le jeune blessé discute simplement, confie son dégoût de lui-même, accepte un enlacement spontané, se sentant finalement apaisé auprès de son soupirant, avant de reconnaître l'honnêteté candide et l'attention amoureuse, la souffrance sincère de ce dernier à la perte du chat Salopette, qui le rappelent alors à la considération de la sensibilité des autres. Le mépris manifeste d'anciens amis d'adolescence malmène dangereusement cette évolution favorable de Valentin et l'optimisme naïf de Loris, ainsi que leur rapport de confiance et leur situation de couple... Toute la persévérance audacieuse de l'un, désormais choqué par la violence de son conjoint et l'espérance réveillée, bien qu'inquiète, de l'autre ne seront pas de trop pour se remettre de cette douloureuse épreuve et en tirer une force certaine, un équilibre durable afin de vivre à deux, ensemble, et heureux.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai lu cette romance naissante aux circonstances difficiles d'une seule traite. Comptant tout juste 135 pages, elle est l'exemple parfait de l'usage avisé et pragmatique des mots, réduit strictement à l'essentiel pour exprimer l'émotion et la tension entre les protagonistes, comparables à un lien rapprochant assurément ceux-ci dans l'intimité sereine, mais s'étirant douloureusement lorsque les troubles les éloignent l'un de l'autre. La narration du point de vue de Loris Kerguerez, concentrée sur la petite commune et les instants privés, exempte de tergiversations sentimentales comme d'exposés psychanalytiques, nous rend le personnage de Valentin le Croezou humble et proche, au point que nous pouvons imaginer le croiser au détour d'une rue... ainsi que cette bête violence qui a marqué son existence à jamais.

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  • Princesse Bari

    Dixième roman contemporain de l'auteur sud-coréen, écrit en 2007 et paru en France en Août 2013.

    Hwang Sok-yong naît en 1943 en Mandchourie, territoire au Nord-Est de l'Asie alors occupé par le Japon. A l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, la Corée est divisée en deux nations : le Nord sous influence soviétique et le Sud sous influence américaine ; la famille de l'écrivain retourne donc à Pyongyang, puis habite Séoul en 1950. Enrôlé pendant la guerre du Vietnam, il milite dès lors de sa personne et de ses mots - sous forme de romans et de pièces de théâtre ; avec sa participation à la création de la chaîne radiophonique clandestine La Voix de Kwangju libre, puis de la revue Littérature de la Réunification - contre la dictature de Park Chung-hee de 1962 à 1979, et encore aujourd'hui pour la paix de la péninsule asiatique. Emprisonné en Corée du Sud, exilé aux Etats-Unis et en Europe, utilisé en Corée du Nord à des fins politiques, l'auteur livre dans ses récits sa propre vie douloureuse, ses témoignages des troubles humains du monde entier lourds d'un réalisme pragmatique, par le biais de personnages malmenés par des idéologies partiales.

    Une enfant vient au monde en 1983 dans une famille de la ville portuaire de Chongjin, en Corée du Nord. Etant la septième fille à naître alors que le père désespère d'avoir un garçon, elle est abandonnée dans un fossé, mais la grand-mère partie à sa recherche la retrouve dans la niche de leur chienne Hindung. Après avoir survécu à la fièvre typhoïde à l'âge de cinq ans, Bari perçoit les sentiments des animaux et des gens, développant les mêmes aptitudes que son aïeule aux pratiques chamaniques ancestrales. La sécheresse estivale, puis les pluies hivernales de 1994 entraînent une période de famine implacable, mais c'est la fuite d'un oncle endetté qui provoque l'expulsion pour la commune de Puryong de la mère et de cinq des filles, que leur cadette ne reverra jamais. Celle-ci franchit discrètement la frontière et trouve un abri dans les bois avec Hyuni et la grand-mère ; son père les y rejoint, traumatisé par les Camps pour la Révolution. La soeur et la vieille femme succombent de froid durant l'hiver suivant, tandis que l'homme disparaît définitivement. L'orpheline à peine âgée de treize ans se retrouve alors seule, en terre étrangère.

    Le personnage de Bari - s'exprimant à la première personne du singulier tout au long du récit - raconte avec maturité la vie quotidienne de sa famille, entre ses six soeurs adolescentes aux personnalités différentes et les privilèges dûs à l'appartenance du père au Comité du Peuple, puis les évènements funestes qui vont en disperser les membres et les condamner à l'exode, voire à la mort. De son passage nocturne en Chine répressive jusqu'à la ville de Yanji aux contrôles de l'administration dans le populaire quartier Lambeth de Londres, du fleuve Tumen gorgé de cadavres faméliques aux cales asphixiantes d'un bateau de passeurs, le ton narratif de la protagoniste en devient détaché, presque cruel ; elle ne pleure que rarement, malgré son très jeune âge et la suite de malheurs qu'elle connaît... Car plus que du point de vue d'une femme - enfant, adolescente, puis adulte - assignée au statut de réfugiée, il s'agit de celui de l'auteur, dissident engagé et désillusionné. Critique du système politique totalitaire de son pays d'origine, témoin des tourments de ses compatriotes sous ce régime, Hwang Sok-yong porte un regard blessé et furieux sur les chaos provoqués comme subis par les Hommes, conforté au moment où il écrit ce roman par les attentats de Mars 2004 en Espagne, de Juillet 2005 en Grande-Bretagne comme par les émeutes françaises en Octobre et Novembre de la même année. L'écrivain expatrié y dénonce la situation des migrants poussés au désespoir, à la fuite et à la clandestinité par le capitalisme mondialisé, diverses organisations criminelles abusant à cette occasion de leur détresse, qui ne trouvent finalement pas leur place et ne s'intègrent pas dans les sociétés occidentales instaurant d'elles-mêmes des communautarismes et rattrapées par le terrorisme.

    L'existence de Bari s'aligne sur celle de la princesse éponyme d'un conte populaire coréen. Abandonnée à sa naissance, puis sauvée par un animal, elle est surtout destinée à chercher l'Eau de Vie au cours d'un long voyage vers l'Ouest pour sauver les esprits des siens. Dans la réalité comme dans ses rêves, dans lesquels sa grand-mère et son chien Chilsong la guident, la jeune transfuge croise au cours des épreuves qu'elle traverse d'innombrables exilés comme elle, des affamés sur les routes, des femmes bafouées et des hommes humiliés par d'autres, mafieux et trafiquants impitoyables du Gang des Serpents, gémissant leurs peines et leurs haines comme les âmes des morts suppliciés, exploités, incompris et vengeurs qu'elle entend dans l'Au-delà. Suite à l'attentat du World Trade Center aux Etats-Unis, à la capture de son mari Ali au Pakistan et à la perte de sa fille Suni, Bari anéantie cherche à se perdre dans ses songes étranges pour les y retrouver ; mais les fantômes désespérés la pressent de trouver l'eau miraculeuse... qui n'existe pas. Elle se révèle pourtant capable de répondre à leurs questions, à leurs imprécations, à leurs plaintes quant à leur sort tragique après des années passées à supporter l'exclusion et la tragédie, à écouter les autres et à partager leurs regrets, à côtoyer diverses cultures ou croyances ; et à admettre qu'elle-même n'est pas étrangère à la détresse de son amie chinoise Shang, passée dans le même conteneur et à laquelle elle avait confié Suni.

    Bien que le périple initiatique de la Nord-coréenne ait touché à sa fin, le chaos et le fanatisme poursuivent leur oeuvre dans la réalité et dans le roman avec l'attentat terroriste à la station de métro Russel Square, auquel la protagoniste et son époux rapatrié assistent directement. L'auteur conclut son récit humblement par l'intermédiaire de la jeune et courageuse Bari, survivante et résistante, enceinte de nouveau, avec une ultime note d'espoir ; un dernier geste d'apaisement, un voeu d'harmonie pour le passé comme pour l'avenir de l'humanité, et celui des générations à venir. 

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai lu cet ouvrage alors que les premiers Syriens fuyant la menace extrêmiste arrivaient par milliers en Europe et suscitaient des débats politiques virulents, inutiles, voire décalés qui n'appelaient que suspicion, appréhension et amalgames. Cette lecture m'a permis de prendre un recul bienvenu et de considérer dans son ensemble le cercle vicieux dans lequel se retrouve engagé le monde actuel, avec ses manigances diplomatiques et ses impacts écologiques, ses excès économiques et ses pillages historiques. En reconnaissant les défauts et les fragilités de chacun, sans excuser les crimes de haine ni les abus de pouvoirs, Hwang Sok-yong nous ramène à notre pitoyable statut de mortel, égoïste et instable, face aux autres Hommes, vivants ou morts, qui nous paraissent tels des reflets présents ou futurs dans un miroir. Le bonheur, la paix, l'envie et la force de vivre se trouvent d'abord en nous-mêmes, pour peu que nous ayons la volonté de les y chercher. 

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