• Mirage, d'Edogawa Ranpo

    Recueil de deux nouvelles de genre Thriller, Mirage et Vermine, parues pour la première fois au Japon en 1929, traduites et publiées en France en 2000.

    Edogawa Ranpo, l'un des écrivains fondateurs des genres Thriller et Policier au Japon, a été particulièrement prolifique dans l'écriture de ses oeuvres aux intrigues criminelles, réhaussées de psychologie malsaine et d'érotisme grotesque, entre 1923 et 1939. Une même année peut avoir vu s'écrire sous sa plume plus d'un récit ; notamment 1925 avec cinq textes, dont La Chambre Rouge, La Chaise Humaine et les deux premières aventures de son fameux détective Akechi Kogoro, ainsi que 1929 avec également cinq fictions, dont Mirage et Vermine, traduits et rassemblés dans ce même recueil.

    La première nouvelle raconte l'étrange rencontre vécue par un jeune homme anonyme, s'exprimant à la première du singulier. Le narrateur met sérieusement en doute la réalité de son expérience, survenue après avoir assisté deux heures durant à un fameux mirage de la plage d'Uozu, au bord de la Mer du Japon dans la préfecture de Toyama, résultant de jeux de brume, de lumières et de reflets, auxquels s'ajoutent la nuit de Mars à Juin les lueurs bleues phosphorescentes des calamars lucioles qui s'accouplent par bancs entiers dans cette baie. A bord du train du soir le ramenant à Tokyo, il finit par adresser la parole au seul voyageur avec lui dans le wagon, un homme âgé possédant un oshie - tableau traditionnel japonais matelassé et fait de pure soie - que ce dernier lui propose de regarder de plus près grâce à de vieilles jumelles. Le protagoniste avise alors les détails particulièrement fins, au point qu'il en semble vivant, du couple insolite de l'oeuvre artistique formé par une belle jeune fille en kimono traditionnel et un vieillard quelconque en costume occidental. L'étrange propriétaire du cadre raconte ensuite l'histoire de ces derniers.

    La seconde intrigue, plus longue que la précédente, s'est maintenue quarante-neuvième au Tozai Mystery 100, classement des cent meilleurs romans de genre Policier de l'Orient et de l'Occident, établi par la maison d'édition Bungeishunju - qui décerne également les prestigieux prix littéraires Akutagawa et Naoki - entre 1985 et 2012. Le personnage principal, Masaki Aoki, souffre de misanthropie depuis sa plus tendre enfance, de façon si absolue qu'elle se manifeste physiquement par une profonde introversion, des spasmes et des larmes incontrôlables. A vingt-sept ans, il retrouve son amour d'enfance, Kinoshita Fuyo, désormais actrice célèbre de théâtre. Alors qu'il croit lui inspirer un intérêt sincère et s'enhardit à lui avouer sa propre attirance pour elle, la jeune femme se moque de lui dans une crise de fou rire. Profondément blessé, le jeune homme la suit à son insu, l'épie sur scène jusque dans les chambres d'hôtel où elle rejoint Ikeuchi Kotaro, son amant et ami d'enfance de Masaki ; la colère de son orgueil rabaissé et la souffrance de ses sentiments bafoués, exacerbés par son voyeurisme obstiné comme par la découverte de Fuyo charnelle et vulgaire en privé, lui inspirent une manière à la fois machiavélique et audacieuse de la tuer. 

    L'obsession envers la beauté féminine conserve une même dimension pathétique et une même finalité tragique dans ces deux récits de l'écrivain japonais, bien qu'ils s'opposent dans leurs formes d'écriture et s'appuient sur les profils psychologiques résolument différents des protagonistes masculins. La jeune fille de soie Yaoya Oshichi et l'actrice de théâtre Kinoshita Fuyo sont sublimées, élevées à l'image de la perfection, à travers les lentilles optiques des jumelles pour la première et par la vision idyllique de l'amour naïf pour la seconde, au regard de leurs prétendants qui décident de les posséder à tout prix. Celui de la nouvelle Mirage subit cependant l'ironie du temps à travers son propre corps, certes rétréci de façon à pouvoir se glisser dans l'oshie, mais demeurant néanmoins mortel et vieillissant aux côtés de l'immuable Yaoya. Masaki Aoki de la nouvelle Vermine sombre de son côté dans une haine amoureuse, dans une passion malsaine qui le pousse à supprimer Fuyo, à obtenir son corps à défaut de son âme ; mais la décomposition du cadavre, dont le jeune homme s'épuisera à masquer par divers subterfuges les effets visibles, la lui ravira inexorablement.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, je recommande ce recueil aux lecteurs qui n'ont jamais lu Edogawa Ranpo et souhaitent le découvrir. Si les deux intrigues mettent en avant le style Ero-guro emblématique de l'auteur nippon, la première est écrite sous la forme d'un conte fantasmagorique et absurde, tandis que la seconde est nettement psychologique et mortelle. Les deux femmes ayant suscité des attentions si extrêmes d'hommes en pâmoison devant leurs beautés, figure de soie figée et actrice de théâtre vaniteuse, glissent pareillement à l'arrière-plan de la scène et laissent leurs admirateurs à leurs fantasmes personnels, aux conséquences de leurs actes désespérés.

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  • manga

    Parce qu'il n'y a pas que des chroniques pour parler de livres !

    Voici exactement un an et un mois que je fais mes analyses et que je publie mes impressions de lecture à mon rythme... et j'avoue que vos commentaires me manquent en réponse à mes avis. Non pas que je souhaite absolument faire du chiffre en visites et en messages, ni prétendre à une certaine popularité, voire crédibilité parmi les autres blogs littéraires ou auprès des maisons d'édition ; mais je serais vraiment fière et exaltée de recevoir votre opinion, sur les ouvrages exposés comme sur les articles eux-mêmes, et d'en discuter avec vous, d'y gagner en ouverture d'esprit et en culture. Cependant, je comprends que vous n'aimiez guère poster des commentaires, que vous ne sachiez quoi ajouter de plus, que vous n'en ayez tout simplement pas le temps ou l'envie ; moi-même, je ne peux pas dire que je sois la première à le faire, et pour les mêmes raisons...

    Je ne peux pas assurer un Service Presse constant avec des maisons d'édition ou avec des auteurs, et ma Pile à Lire évolue au gré des sorties qui m'intéressent personnellement, de mes achats soumis à une sélection plus rude encore, de mes trouvailles à la brocante et de mes emprunts à la bibliothèque municipale. Donc, pas de In My Mailbox en attente, de PAL hebdomadaire, ni de Défis Livresques ; mais je veux quand même dynamiser le rapport de Psyche Tremens avec ses visiteurs... que diriez-vous alors d'un Loto Littéraire ?

    Donnez-moi chaque Lundi en réponse au statut associé à ce projet sur la Page Facebook du Blog une lettre de l'alphabet pour le nom d'auteur, un nombre pour la page de l'ouvrage et un autre pour la ligne de cette page : la main innocente de l'un de mes enfants choisira l'une de vos propositions - on veillera à alterner les participants sélectionnés - et je vous inscrirai le lendemain les références du livre tiré de ma BIBliothèque privée ou de ma PAL, ainsi que le résultat dans cet article, qui sera permanent et qui affichera à la suite les citations, changeant seulement de numéro au fur et à mesure des éditions.

    Alors, qu'en pensez-vous ? Très bien, donc à vos grilles !

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    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 13.10.15 / A 42 17 > Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan :

    • "– (Je ne manque pas de compagnie car tu as beaucoup d'esclaves.) Chacun est intéressant."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 13.10.15 / L 55 5 > La Princesse des Glaces, de Camilla Läckberg :

    • "Tu n'es pas seule, Erika. (Je vais t'aider avec cette histoire, je te le promets.)"

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 19.10.15 / B 47 37 > Chroniques du Lindormyn - Le Vagabond du Grand Nord, de David Bilsborough :

    • "(Nibulus était un formidable adversaire, connu pour être devenu une fine lame.) Armé de pied en cap, lorsqu'il brandissait sa Grande Epée, rares étaient ceux qui lui résistaient."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 27.10.15 / H 33 12 > Un Café Maison, de Keigo Higashino :

    • "– Utsumi a raison. Il y a une tasse et deux soucoupes dans l'évier."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 03.11.15 / R 21 36 > Mission Iceberg, de James Rollins :

    • "Bien que le feu soit le danger principal à bord, personne n'était convaincu à 100 % que la carapace transparente puisse remplacer une double coque en titane et fibre de carbone, surtout quand il y avait autant de glace autour."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 10.11.15 / S 74 23 > Fleur de Neige, de Lisa See :

    • "Neige me dévisagea à nouveau, en essayant d'évaluer mon degré d'intrépidité - encore modeste à l'époque, il faut bien l'avouer."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 24.11.15 / N 72 13 > Tu seras notre Enfant, de Charity Norman :

    • "– Je te porterais sur mon dos pour avancer, comme une carapace de Tortue Ninja. Nous aurions l'air un peu bête."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 01.12.15 / A 13 35 > Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan :

    • "(Jaad le regarde et sourit.) – Je t'écoute."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 08.12.15 / D 18 54 > La Reine des Rêves, de Chitra Banerjee Divakaruni :

    • "Ma mère, cachottière, têtue, fantasque, était incapable de se souvenir d'un air. (C'était à elle que je voulais ressembler.)"

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 15.12.15 / C 34 13 > Les Runes de Feu, de Cyril Carau :

    • "– Je comprends et j'approuve entièrement, répond le fonctionnaire."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 22.12.15 / E 18 50 > Les Mots d'Eden : Vers Toi, de Céline Etcheberry :

    • "Je savais qu'elle en avait envie pourtant, et ce soir-là lorsqu'elle glissa sa main dans mon jean entrouvert, je ne la repoussai pas."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 22.12.15 / I 11 11 > La Mémoire du Sang, de Greg Iles :

    • "La vérité est fluide. La vérité est vivante. Connaître la vérité exige de la compréhension, l'art humain le plus difficile."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 22.12.15 / M 24 56 > Love & Pop, de Ryu Murakami :

    • "C'est pour consommer sur place ? Oui ? Je vous remercie."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 22.12.15 / O 10 20 > 1984, de George Orwell :

    • "Actuellement, d'ailleurs, le courant électrique était coupé dans la journée. C'était une des mesures d'économie prises en vue de la Semaine de la Haine."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 29.12.15 / L 03 06 > Japantown, de Barry Lancet :

    • "– Je ferai avec. (– J'espère que tu continueras longtemps à raisonner comme ça.)"

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 05.01.16 / H 19 07 > Dragon Rouge, de Thomas Harris :

    • "Par une fenêtre de derrière, il put voir les meubles se découper en ombres chinoises à l'intérieur de la maison."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 13.01.16 / G 16 26 > Le Passager, de Jean-Christophe Grangé :

    • "– Vous voulez bien me suivre ? (Il ne bougea pas.)"

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 13.01.16 / R 48 24 > Emily the Strange - Les Jours Perdus, de Rob Reger :

    • "Je faisais semblant d'être super occupée à prendre des notes, à examiner mes pompes ou n'importe quoi qui me fournisse des indices sur mon identité, mais je surveillais la zone du zinc..."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 19.01.16 / T 236 11 > L'Ombre des Chats, d'Arni Thorarinsson :

    • "– Je veux que tu te prépares à prendre le relais à la rédaction."

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan 26.01.16 / B 18 28 > Dernier Battement de Cil, de Mark Billingham :

    • "Le souvenir de sa douleur après son opération d'une hernie, six mois plus tôt, était encore atrocement vivace."
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  • Sept Yeux de Chats, de Choi Jae-hoon

    Roman sud-coréen de genre Thriller édité en 2011, récompensé par le prix littéraire du journal quotidien national Hankouk Ilbo l'année suivante.

    Né à Séoul, en Corée du Sud en 1973, Choi Jae-hoon fait son service militaire obligatoire et apprend au cours de ses deux années au sein de l'armée à réfléchir sur lui-même. La lecture de L'Attrape-Coeur, de J.D. Salinger le marque profondément : paru en 1951, enseigné comme classique de la littérature aux Etats-Unis après avoir été placé dans la liste des Livres Bannis entre 1961 et 1982 pour s'être retrouvé en possession d'assassins emblématiques de l'Histoire américaine - notamment, Mark David Chapman qui a tué John Lennon, et John Warnock Hinckley Jr. qui a attenté à la vie de Ronald Reagan - , ce roman à la tournure autobiographique, abordant dans les termes injurieux d'un adolescent à la dérive des thèmes sociaux comme la sexualité, la marginalité et la prostitution, choque moins l'auteur coréen par son réalisme implacable que par le "vous", cet inconnu auquel s'adresse le protagoniste et qui se révèle autre que le lecteur, plaçant ce dernier dans une position inconfortable ; entre confident et voyeur. A cette interpellation singulière le désincarnant de sa propre réalité, Choi Jae-hoon estime selon ses propres mots, devoir "l'assassinat de son "moi" qui vivait tranquillement", pour être désormais "ce "moi" qui a survécu pour écrire des livres".

    Le roman commence ainsi, entamant la narration du chapitre Le Sixième Rêve à la première personne du singulier s'adressant à quelqu'un d'autre. Après quelques lignes, les pronoms changent et le point de vue passe de l'un à l'autre des six invités du chalet suspectant un hôte absent, comme une boule rebondissante d'un coin à un autre d'une pièce sans jamais atteindre l'ombre de l'assassin. L'énigme à huis clos, le mode opératoire d'un tueur en série, la survie en conditions extrêmes et la paranoïa donnent un ton résolument haletant et occidental tout au long de l'intrigue... qui s'achève à la page 67. Une seconde partie intitulée Equation d'une Vengeance suit et plusieurs indices poussent le lecteur à chercher et à reconnaître les personnages de Kang Minkyu, de Min Taesik, de Kim Hyeon-suk, de Yi Yeonu, de Oh Yeong-su et de Han Sena, afin de résoudre l'énigme précédente à partir de ces autres circonstances ; mais il ne s'agit ni de l'avenir, ni du passé, ni même vraiment des protagonistes eux-mêmes. Leurs personnalités, leurs qualifications, leurs caractéristiques se mélangent, se complètent, s'intervertissent au point de corrompre leur intégrité et jusqu'à leurs noms, faisant place au roman lui-même sur le devant de la scène par l'intermédiaire de la troisième partie π ; à la façon du traducteur M, le lecteur s'y oublie et dans l'ultime chapitre, le livre baptisé du nom même de celui qu'il tient en main lui échappe. Choi Jae-hoon a concentré tout son style et toutes ses idées, les a "mixé comme dans un blender" afin d'en exprimer, avec les mots dans cet ouvrage, les sensations et le chaos qui en résultent comme il l'aurait fait avec de la peinture sur une toile de lin.

    La construction du roman n'a pourtant rien d'anarchique ou d'abstrait. Au-delà de ses quatre parties pour les quatre mouvements de la composition La Jeune Fille et la Mort de Franz Schubert comme de celle de Salome Dances for Peace de Terry Riley, nombre de références littéraires et cinématographiques occidentales sèment leurs détails d'une partie à une autre, de l'objet le plus bénin - la clef de la chambre de Barbe Bleue, le chat et la chenille d'Alice au Pays des Merveilles, les cheveux roux de la gravure de Munch, le surnom de l'actrice française dans le long-métrage Lune de Fiel - à leurs thèmes qui ont souvent suscité la controverse à l'époque de leurs parutions - le fétichisme, les excès, la liberté sexuelle, la vengeance personnelle et l'obsession compulsive - . S'y ajoutent alors, juste au coin de l'oeil du lecteur, d'autres éléments récurrents, ordinaires glissés par l'auteur coréen comme des signatures d'un tueur en série sur une scène de crime, puis des allusions diverses, culturelles ou métaphysiques totalement fictives, inventées et appliquées comme les caprices d'un écrivain sur son oeuvre... ou d'une divinité sur un destin, cette dernière allant jusqu'à s'inviter auprès du traducteur M pour s'approprier le roman même, tout à son rôle d'entité gréco-romaine garante non seulement de l'immortalité, mais du concept de l'Infini, de la continuité sans répétition et perpétuellement renouvellée... à l'image du nombre π ou d'un labyrinthe sans issue qu'aurait pu concevoir l'artiste néerlandais Maurits Cornelis Escher.

    Le lecteur ne peut dire ce que sont devenus les protagonistes du début de l'ouvrage. Sont-ils morts ? Ont-ils fusionnés ? Ont-ils évolués, ou sont-ce leurs existences, leurs environnements qui ont changé ? A quel univers, de l'un à l'autre des chapitres, appartiennent ces mots qu'il est justement en train de lire ? L'auteur sud-coréen traite philosophie à travers des monologues ou dialogues simples, souvent intimes, parfois empreints de mélancolie et de condescendance, avec quelques touches d'absurdité, mais qui ne basculent jamais vers des citations élitistes ou des principes trop objectifs, gardant une expression et une approche résolument humaines et personnelles. L'identité de l'individu, dont les bases sont mises à mal par l'inconscient, la société, le hasard, le mensonge, les secrets, la gémellité, la famille, l'obsession, le fantasme... n'a plus tant d'importance dans ce jeu de poupées russes ; le nom même de l'écrivain disparaît sur la couverture de l'exemplaire du roman dans l'ultime chapitre éponyme, qui conclut de façon à reprendre la lecture du premier... ou à imaginer une nouvelle histoire.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, je me souviendrai de cette oeuvre davantage pour elle-même, que pour son genre littéraire ou mon impression de lecture. Les références multiples, les détails en surimpression, les alternatives philosophiques et les revirements circonstanciels ont laissé plus sûrement leurs traces dans mon esprit que les subtilités malsaines de l'intrigue criminelle la plus sombre. Le lecteur se sent comme l'Alice de Lewis Caroll égarée au coeur d'un dédale de chemins différents et sans issue. Que sa raison fasse contrepoids ou non à la folie du Lapin Blanc, du Lièvre de Mars et du Chapelier, comme de la Reine de Coeur, des Cartes et du Dodo, l'oeil unique du Chat de Cheshire cligne d'amusement et de malice dans l'obscurité... et c'est là le dessein de l'auteur.

    Mirage >>

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  • L'Ironie d'un Sort, de Mathias P. Sagan

    Premier tome de la duologie L'Ironie de l'auteur, de genres Romance contemporaine et M/M, autopubliée le 13 Novembre 2015.

    Auteur de vingt-sept ans, Mathias P. Sagan écrit depuis l'adolescence autour de personnages tourmentés, sur des thèmes plus ou moins dramatiques, tout en restant profondément ancré dans la réalité ; Nouveaux Départs : la Fin est son premier roman achevé en 2015, premier tome d'une série en cours d'écriture et à paraître pour le 16 Octobre prochain. L'écrivain amateur reprend également au cours de l'année un récit écrit en 2009 autour d'un jeune homosexuel malheureux, peu sûr de lui, trouvant la force de repousser perpétuellement ses propres limites ; le personnage d'Alan Jamain gagne en maturité et en profondeur, s'entoure d'autres protagonistes et poursuit sa vie sous la plume de son créateur. Son destin jalonné de drames comme de joies, mis en ligne sur le site social Wattpad sous le titre de L'Ironie d'un Sort, a suscité un tel engouement chez ses lecteurs que son auteur a finalement décidé de le publier en Novembre prochain.

    Le prologue trouve le protagoniste au tournant de son existence, émergeant douloureusement d'un coma à l'hôpital Georges Pompidou à Paris. La consommation de drogues et d'alcool, son profond mal-être, jusqu'à ses rapports intimes non protégés avec son petit-ami séropositif, trahissent un comportement désespéré, suicidaire, destructeur envers lui-même ; pourtant, de nouveau pour cette énième tentative de mettre fin à ses tourments, Alan Jamain à l'aube de ses dix-huit ans a finalement appelé les secours. Loin d'être immature, le jeune homme dissimule de profondes blessures intérieures, qui le rongent d'autant plus qu'il ne s'en livre à personne ; l'amertume a pesé de tout son poids sur ses propres faiblesses, l'entraînant au fond de sa détresse solitaire... mais il ne peut se résoudre à laisser Hugo, l'enfant qu'il a eu avec Laura avant qu'elle ne meurt trois ans auparavant, derrière lui sans ciller. Après trente-trois jours interné en centre psychiatrique, Alan - s'exprimant à la première personne dans la majeure partie du roman - prend cette fois la ferme décision de changer de vie et de comportement dans le but de récupérer son fils et de l'éduquer lui-même ; les trois parties suivantes confortent sa détermination et prouvent son attachement paternel à l'enfant.

    Les dix premiers chapitres révèlent l'enfance peu joyeuse d'Alan et les circonstances à l'origine de ses tendances mélancoliques, mais surtout la concrétisation de ses choix vis-à-vis de lui-même et de Hugo. Il avoue enfin l'existence de ce dernier à sa famille, puis à ses collègues au salon de coiffure où il travaille, surmontant sa crainte du jugement des autres auquel il expose également son fils et assumant pour de bon ce secret lourd de nostalgie pour la nouvelle année à venir. L'impatience le pousse alors à prendre une décision discutable à bien des niveaux, mais elle atteste surtout de la résolution du protagoniste. Alan Jamain affirme et fortifie sa personnalité au fil du temps, de ses expériences professionnelles et de ses échanges, intimes ou furtifs, avec les personnages qu'il croise... tandis que son coeur, blessé et solitaire, se garde obstinément de ses propres émois et des approches bienveillantes.  

    Sans se laisser aspirer par la tornade sans fin des débats chers aux polémiques politiques et sociales, l'auteur aborde des thèmes sensibles aussi modestement qu'ils peuvent concerner la vie quotidienne des petites gens, marquées sans ménagement, mais gardant la force d'espérer des jours meilleurs. Le personnage principal en est un parfait révélateur, exposé pathétique et nauséeux dès le prologue du roman à l'hôpital, rejetté par un père exigeant, brisé par l'agonie de son amie cancéreuse, à la dernière volonté de laquelle il a cédé en lui permettant de donner la vie avant de mourir ; il paraît d'autant plus désespéré qu'il est à peine majeur, et devrait être trop jeune pour avoir déjà subi tout cela... puis il trouve en lui la volonté de faire pour s'en sortir. Mathias P. Sagan distille sa propre conception de l'euthanasie sans la forcer, en appellant davantage le lecteur à la réflexion personnelle qu'à une réaction réfractaire ; de même, le prise de parole de Hugo, premier concerné, à propos du couple homosexuel l'élevant n'impose aucun argument, mais rappelle la priorité de l'intérêt de l'enfant.

    Alors qu'Alan agit, assume ses choix et évolue, son entourage réagit, s'engage, s'oppose ou s'éloigne ; et le temps faisant son oeuvre pour tous, des secrets se dévoilent, des erreurs se paient et des sentiments se transforment... Tous les personnages du roman sans exception reconnaîtront l'ironie de certaines situations ou de certains évènements, pour eux-mêmes comme pour les autres, appuyant la conviction selon laquelle l'existence, bien qu'imposant parfois de cruelles et longues difficultés, récompense toujours ceux qui luttent pour en tirer le meilleur.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, je me souviendrai de cet ouvrage comme l'un des rares à m'avoir non seulement vrillé les tripes, mais également mise au bord des larmes. Sans sombrer dans des engrenages inextricables, ni dans des intrigues à la mode américaine ou dans des polémiques politiques, Mathias P. Sagan retranscrit l'humble évolution d'un jeune homme ordinaire, accablé de tristesse et de solitude, qui décide simplement, mais fermement, de reprendre sa vie en main. L'ironie fera qu'à vouloir être fort pour deux, il le sera véritablement à deux.

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  • Le Lézard Noir, de Ranpo Edogawa

    Roman de genre Thriller édité pour la première fois au Japon en 1934, et septième affaire criminelle du célèbre détective Akechi Kogoro, créé par l'auteur.

    Bien que n'ayant pas davantage de pages que la plupart de ses autres récits, n'ayant pas à l'origine un statut emblématique dans la bibliographie de l'auteur comme dans la littérature japonaise, ni même une intrigue particulièrement fournie, critique ou concernant un événement traumatique de l'histoire nippone, ce vingt-troisième roman de l'écrivain Edogawa Ranpo est la plus populaire de ses productions. En 1968, elle est adaptée en long-métrage cinématographique par Kinji Fukasaku - connu pour ses nombreux films de samouraïs et de yakuzas dans les années 70 et 80, puis Battle Royale en 2000 - mettant en scène sur des décors et une interprétation décalés l'acteur Isao Kimura jouant le détective Akechi Kogoro et l'artiste transexuel Akihiro Miwa dans le rôle-titre, que ce dernier reprend au théâtre pour Yukio Mishima, auteur de la tétralogie La Mer de la Fertilité.

    Cambrioleuse maline et organisée, la jeune femme connue sous le pseudonyme du Lézard Noir convoite l'Etoile Egyptienne, diamant historique et trésor national japonais que Shoei Iwase, grand joaillier de la ville d'Osaka, garde consciencieusement à l'abri des regards et des voleurs. Elle décide donc d'enlever sa fille unique Sanae pour le contraindre à l'échanger contre la pierre précieuse ; mais de caractère joueur et provocateur - tel le célèbre Arsène Lupin de Maurice Leblanc - , elle prévient non seulement le bijoutier de son projet, mais également le détective Akechi Kogoro, intelligent et intuitif, l'invitant à anticiper et contrecarrer ses manigances. Du recrutement de Junichi Amamiya à la reddition finale du Lézard Noir, le style analytique des mécanismes psychologiques et les longues métaphores mêlant l'horrifique au grotesque qui ont marqué telle une signature la plupart des oeuvres de l'auteur nippon, n'ont pas dans celle-ci une place explicite, préférant donner juste assez de détails dans les scènes pour les suggérer à ses lecteurs fidèles ; les mots et la narration sont exclusivement soumis à l'action, aux réactions des protagonistes qui connaissent des rebondissements inattendus et croisent d'autres personnages à chaque nouveau chapitre, dans un rythme ainsi régulier et soutenu du début à la fin. 

    Le détective Akechi Kogoro et le Lézard Noir se ressemblent et s'opposent comme les deux côtés d'une même pièce, ou comme le Yin et le Yang : mâle et femelle, loi et crime, ils ont le même penchant excentrique, la même intelligence et la même habileté au détournement des apparences. L'intrigue est donc principalement axée sur eux, malgré les enjeux et l'intervention des autres personnages, sur leurs confrontations directes comme indirectes, leurs machinations, leurs filatures, leurs ruses et leurs déductions respectives afin de devancer ou déstabiliser l'autre. Le Lézard Noir exulte de joie en défiant Akechi Kogoro, le seul adversaire qu'elle estime digne d'elle et capable de la divertir dans son entreprise... au point de trahir une extrême affliction lorsqu'elle croit l'avoir tué, puis un soulagement intense en le reconnaissant au coeur de son musée personnel. Le détective de son côté, jubile de la même façon face à l'ingéniosité et à la prévoyance de la cambrioleuse, tel l'emblématique Sherlock Holmes d'Arthur Conan Doyle ne trouvant d'attrayant dans son existence que les énigmes difficiles, voire dangereuses qui s'imposaient à lui. L'affaire de l'Etoile Egyptienne n'est plus ainsi seulement criminelle, mais prend une dimension personnelle. Si elle ne semble pourtant à aucun moment renoncer à ses intérêts coupables, la jeune femme se rend finalement en toute humilité, dans un total abandon dans les bras de son vainqueur, heureuse comme une amante qui reçoit un baiser du seul homme qui ait véritablement compté pour elle.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai lu cet ouvrage comme on suit une partie de jeu de société particulièrement palpitante et serrée : avec un engouement concentré, à la limite de l'impatience pour son dénouement. Edogawa Ranpo délaisse l'aspect explicite de la psychologie humaine pour n'expliquer que la joute fine entre son redoutable détective Akechi Kogoro et l'impitoyable Lézard Noir, offrant au lecteur l'occasion d'un divertissement certain et l'invitant à deviner entre les lignes ses propres métaphores.

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