• Attache-Moi, de Jeremy Henry

    Romance érotique contemporaine et quatrième autoédition de l'auteur, parue le 30 Juin 2016.

    Après s'être lancé dans l'autopublication avec son roman L'Ombre Dansante du Dragon en Décembre 2015, puis avoir confirmé ses débuts d'auteur indépendant avec la parution de ses intégrales Comme un Oiseau en Février 2016 et Les Liens du Sang en Mars dernier, Jeremy Henry enchaîne avec celle de deux courts récits originaux, détachés de ses sagas emblématiques et regroupés en ce seul volume. Si leurs intrigues tournent autour du même thème de la pratique du BDSM au sein du couple et de la société, elles se déroulent néanmoins dans des cadres géographiques et culturels aussi divergents que les points de vue dont elles rendent les aspirations personnelles et les conditions observées.

    Protagoniste de la première nouvelle Attache-Moi ! , l'employé de bureau Kou Miura désespère à l'idée du mariage proche et du départ définitif de son supérieur Osamu Shimizu, pour lequel il éprouve des sentiments inavoués depuis sept ans. Il décide de le ramener chez lui après une tournée des bars du quartier et de le maintenir drogué, entièrement soumis à sa volonté le temps d'un week-end, à l'issue duquel il compte le relâcher et mettre fin à ses jours... Mais le captif reprend conscience prématurément et confronte son subordonné. Dans le deuxième texte Une Folie Douce, le spécialiste en droit du commerce international Laurent Delcourt croyant séduire une superbe inconnue se réveille à l'hôtel, menotté et interloqué face au désir de vengeance du jeune Yohan Durand, qui le rappelle à un passé commun et douloureux.

    L'auteur aborde le thème de la pratique du BDSM - Bondage, Domination ou Discipline, Soumission ou Sadisme, Masochisme - au sein du couple consentant et de la société moderne de manière aussi objective qu'informée ; n'entraînant le lecteur dans aucun débat ni jugement à son propos, tout en lui exposant ses communautés secrètes, diverses figures de ligotage, les fantasmes qu'elle vise à satisfaire... les risques que l'amateurisme peut impliquer. Davantage qu'une simple préférence ou récurrence égocentrique, elle doit engager les partenaires à se considérer mutuellement, à se faire confiance et à s'investir dans leurs rapports intimes. Osamu Shimizu, à la fois décontenancé et charmé par la candeur volontaire de Kou Miura - dont il ne connaissait que la facette discrète et introvertie sur leur lieu de travail - voit son orgueil combatif exacerbé à la perspective de l'investissement personnel que réclame une relation privée dans ces codes certes singuliers, mais très précis. Son initiation appliquée au BDSM chasse alors peu à peu les appréhensions et les doutes de son soupirant, pour confirmer entre eux une complicité et un soutien indéfectibles, puis un attachement sincère et réciproque. Il en est tout autrement pour le second couple du même récit, dont le contraste entre les tempéraments respectifs s'oppose encore à celui des attentes profondes. Amateur, Osamu se retrouve à susciter chez le timide et non-initié Natsuhiro Kurosawa l'audace espiègle à laquelle aspire véritablement l'orgueilleux "Maître" du BDSM Toshiya Matsumoto ; motivant l'humour cocasse et l'effronterie ingénue qui soulignent le style d'écriture de Jeremy Henry dans les chapitres les mettant en scène.

    Bien que la romance au coeur de son intrigue s'engage d'une manière aussi déroutante que celle de Attache-Moi ! , Une Folie Douce adopte un ton résolument différent, grave et mélancolique, à l'image du farouche Yohan Durand, qui craint d'être finalement rejetté par son amant Laurent Delcourt. Lorsque ce dernier le demande en mariage et lui propose de le suivre aux Pays-Bas, le jeune homme comprend qu'il lui faut confronter son passé, source de ses angoisses intérieures, avant de quitter La Rochelle s'il veut vivre serein et heureux avec son compagnon. La pratique du BDSM est ici reléguée en arrière-plan et introduite du point de vue occidental, qui la considère telle une déviance sexuelle méprisée par la société, mais également sous-estimée par ceux qui l'abordent avec imprudence. L'ignorance des principes de santé et de sécurité, des responsabilités comme des limites de chacun, la négligence de partenaires superficiels ou occasionnels peuvent rapidement mener à la souffrance et au drame, qui s'opposent ainsi dans cette seconde nouvelle d'autant plus nettement à la jouissance et à la légèreté, dans le cadre strict d'un contrat conjointement défini et approuvé, du premier récit.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai beaucoup compté sur le style déjà connu de l'auteur en abordant cette romance érotique, rebutée par d'autres ouvrages du genre en raison de leur vulgarité exagérée et inutile. Je l'ai retrouvé avec grand plaisir fidèle à ses descriptions pragmatiques et immersives, à ses scènes aussi introspectives que charnelles, à ses rebondissements rythmés au coeur d'un réalisme désillusionné. Jeremy Henry démontre une nouvelle fois sa maîtrise rigoureuse et large des thèmes qu'il traite, mais prouve également qu'il est capable, autant que de réhausser de tendresse et d'humour la sexualité singulière de ses protagonistes, d'évoquer avec humilité et recul jusqu'aux faiblesses et aux indignités de la nature humaine.

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  • Beautiful, de Christelle Verhoest

    Romance contemporaine de genre M/M, autoéditée et publiée le 26 Février 2015.

    Qu'ils se déroulent au coeur de nos sociétés occidentales modernes, de périodes historiques précises ou même, de cadres imaginaires fantastiques, Christelle Verhoest évoque à travers ses multiples récits bien davantage que le thème récurrent dans sa bibliographie de l'homosexualité. L'art cinématographique, les intrigues de pouvoir à la cour du Roi Soleil, le quotidien nomade des saltimbanques, le fil des enquêtes policières, le parcours initiatique d'un bout à l'autre des Etats-Unis... sont autant de sujets variés, spécifiques, voire sensibles que son inspiration en continuelle effervescence lui suggère d'aborder et dont sa passion littéraire, associée à sa maturité et à sa méticulosité en écriture, relève les singularités profondes et les portées intimes comme autant de défis exaltants. Pour ce roman contemporain, l'auteure s'est ainsi appliquée à rendre un homme solitaire, froid et sans visage, émouvant et attachant aux yeux de ses lecteurs.

    Loris Kerguerez, âgé de vingt-six ans, hérite de la maison de sa grand-mère décédée, située dans une modeste commune bretonne et décide de la rénover pour s'y installer, saisissant l'occasion de laisser derrière lui la superficialité parisienne qu'il ne supporte plus. Un matin, il croise un inconnu à la tête encapuchonnée, aux traits dissimulés par un foulard et surtout, aux yeux de couleur turquoise pour lesquels il a un véritable coup de foudre. Il tente de faire davantage connaissance ; mais le visage lacéré douze ans auparavant par des camarades de collège jaloux, Valentin le Croezou s'est depuis lors renfermé, isolé sur lui-même et évite absolument tout contact avec autrui, allant jusqu'à repousser avec agressivité la moindre amorce sociable. Froidement rabroué, Loris n'en reste pas moins déterminé et réussit peu à peu à se rapprocher de Valentin... Cependant, leur relation a moins besoin de temps et de courage pour se confirmer et s'affirmer, que le jeune homme blessé pour faire face à ses angoisses et se reconstruire.

    Un attachement fidèle et prévenant peut rassurer, mais ne suffit pas seul à détacher une personne des conséquences et des circonstances d'un drame ayant irrévocablement marqué sa propre existence. L'entendement sagace de ses troubles est trompeur pour un point de vue subjectif, même animé par une réelle philanthropie, qui ne peut qu'en mésestimer l'influence pathologique à défaut d'avoir vécu les mêmes épreuves, mais aussi d'éprouver et d'exprimer pareillement ses émotions. De la même manière, le déclin de l'influence des traumas ne peut s'amorcer significativement qu'en la conscience de l'individu affecté ; un environnement serein, un entourage attentif associés à des interventions psychothérapeutiques n'engageant pas l'évidence de cette amélioration, ni son efficacité à long terme. Le personnage de Valentin le Croezou est ainsi d'autant plus délicat à aborder qu'il s'est obstinément introverti jusqu'à sombrer dans le mutisme, et a repoussé tant le débriefing préliminaire du psychologue au centre hospitalier que le soutien de sa propre mère au quotidien, laissant son traumatisme instiller au fil des années l'angoisse et l'amertume dans ses gestes, la culpabilité et la terreur dans ses rêves, puis le désespoir et la résignation dans son esprit, plus profondément encore que les pointes des ciseaux de ses agresseurs dans sa chair.

    A l'image de leur toute première rencontre, les débuts de la relation entre Loris et Valentin sont de véritables chocs émotionnels pour les deux hommes, l'audace enthousiaste du premier s'opposant violemment à la méfiance craintive du second. Poussé à y réagir, le jeune blessé discute simplement, confie son dégoût de lui-même, accepte un enlacement spontané, se sentant finalement apaisé auprès de son soupirant, avant de reconnaître l'honnêteté candide et l'attention amoureuse, la souffrance sincère de ce dernier à la perte du chat Salopette, qui le rappelent alors à la considération de la sensibilité des autres. Le mépris manifeste d'anciens amis d'adolescence malmène dangereusement cette évolution favorable de Valentin et l'optimisme naïf de Loris, ainsi que leur rapport de confiance et leur situation de couple... Toute la persévérance audacieuse de l'un, désormais choqué par la violence de son conjoint et l'espérance réveillée, bien qu'inquiète, de l'autre ne seront pas de trop pour se remettre de cette douloureuse épreuve et en tirer une force certaine, un équilibre durable afin de vivre à deux, ensemble, et heureux.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai lu cette romance naissante aux circonstances difficiles d'une seule traite. Comptant tout juste 135 pages, elle est l'exemple parfait de l'usage avisé et pragmatique des mots, réduit strictement à l'essentiel pour exprimer l'émotion et la tension entre les protagonistes, comparables à un lien rapprochant assurément ceux-ci dans l'intimité sereine, mais s'étirant douloureusement lorsque les troubles les éloignent l'un de l'autre. La narration du point de vue de Loris Kerguerez, concentrée sur la petite commune et les instants privés, exempte de tergiversations sentimentales comme d'exposés psychanalytiques, nous rend le personnage de Valentin le Croezou humble et proche, au point que nous pouvons imaginer le croiser au détour d'une rue... ainsi que cette bête violence qui a marqué son existence à jamais.

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  • Remember Me - Tome 1, de Kyo VR

    Romance contemporaine autopubliée de genre M/M, parue le 28 Avril 2014.

    Auteure touloise de vingt-six ans, Kyo Vr écrit depuis l'adolescence. Elle aborde facilement tous les genres littéraires, de la romance contemporaine à l'épouvante paranormale - notamment avec Go to Sleep mis en ligne sur Wattpad - , avec néanmoins une prédilection personnelle pour les intrigues mettant en scène des personnages homosexuels. Remember Me est son tout premier roman achevé en 2015, sa première parution en autoédition et le premier tome d'une série en cours d'écriture.

    Tout est allé très vite pour le couple de Sidney et Matt. Dix mois après leur rencontre hasardeuse assortie d'un véritable coup de foudre, les deux étudiants âgés d'une vingtaine d'années s'installent ensemble à Los Angeles. Leur attirance mutuelle comme leurs sentiments amoureux ne font aucun doute, et leur vie commune s'organise rapidement. Plusieurs semaines après leur emménagement, Sidney sent pourtant lui peser le fait de demeurer au domicile, assurant l'entretien du logement et anticipant les besoins de Matt de retour épuisé de ses heures de cours, qui ne leur laissent finalement que peu de temps pour jouir de leur intimité. Le jeune homme est impatient de reprendre ses études ; mais il lui reste encore à prévenir son conjoint de sa décision, alors que ce dernier a pris l'habitude de faire la sourde oreille à ses allusions personnelles... et mis au courant, se révèle fermement opposé à ce projet. Le ton monte ; Matt souhaite ne jamais avoir croisé Sidney... et se retrouve un mois après la date de leur rencontre, son amant ne l'ayant jamais vu et donc, ne le reconnaissant pas.

    Les deux protagonistes sont de tempéraments très différents : l'un est égocentrique, cynique et suit des études de Médecine, tandis que l'autre est plus altruiste, romantique et souhaite devenir professeur en Littérature. L'organisation de leur vie commune repose sur ces caractères opposés, de telle façon que le tendre et attentionné Sidney renonce d'abord à ses propres désirs pour privilégier ceux du fier et irascible Matt, qui finit par considérer cela comme acquis et allant de soi. L'hésitation du premier à révéler la reprise de ses études au second, qui de son côté repousse constamment leurs discussions, trahit un manque flagrant de communication. La colère et la mauvaise foi de Matt le feront s'attaquer à l'origine même de leur relation, à leur rencontre à laquelle le romantisme de Sidney le fait croire comme au destin. Or, si les mots blessants sont trop faciles à émettre, leurs conséquences, notamment la peine provoquée chez ceux qui les entendent, sont bien davantage difficiles à rattraper. L'auteure se fera un plaisir de glisser un peu de magie dans l'intrigue, afin de donner l'occasion à Matt d'en tirer et d'en retenir la leçon.

    Les personnages, le déroulement et le thème de l'intrigue ne sont pas foncièrement inédits ; mais l'originalité n'est pas la priorité de ce premier tome. Le couple formé par ses protagonistes, certes homosexuels, est présenté, semblable à beaucoup d'autres et il s'agit pour l'auteure de narrer les premiers temps de leur existence ensemble, de l'installation de la routine quotidienne, de l'importance des désirs, des attentes, des choix de l'un et de l'autre ; entre concessions, sacrifices et acceptations, quand les conjoints doivent encore se découvrir, se connaître, s'apprivoiser, se compléter pour trouver l'équilibre conjugal qui, associé à l'affection sincère, engage le bonheur quotidien dans l'attente d'être confirmé, au fil des années, des évènements et des épreuves à venir dans les volumes suivants.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai apprécié cette lecture simple et courte comme on regarde un téléfilm programmé un après-midi à l'approche de la Saint-Valentin. Mises à part quelques maladresses d'auteur amateur, sans le soutien de relecteur et de correcteur, ce premier roman ramène à une intrigue modeste, reposante, dont tous les couples, homosexuels comme hétérosexuels, peuvent reconnaître l'universalité et par laquelle ils peuvent se rappeler sans véritable surprise, ni sentiment de dédain ou de parti pris, la morale finale.

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  • L'Ironie d'un Sort, de Mathias P. Sagan

    Premier tome de la duologie L'Ironie de l'auteur, de genres Romance contemporaine et M/M, autopubliée le 13 Novembre 2015.

    Auteur de vingt-sept ans, Mathias P. Sagan écrit depuis l'adolescence autour de personnages tourmentés, sur des thèmes plus ou moins dramatiques, tout en restant profondément ancré dans la réalité ; Nouveaux Départs : la Fin est son premier roman achevé en 2015, premier tome d'une série en cours d'écriture et à paraître pour le 16 Octobre prochain. L'écrivain amateur reprend également au cours de l'année un récit écrit en 2009 autour d'un jeune homosexuel malheureux, peu sûr de lui, trouvant la force de repousser perpétuellement ses propres limites ; le personnage d'Alan Jamain gagne en maturité et en profondeur, s'entoure d'autres protagonistes et poursuit sa vie sous la plume de son créateur. Son destin jalonné de drames comme de joies, mis en ligne sur le site social Wattpad sous le titre de L'Ironie d'un Sort, a suscité un tel engouement chez ses lecteurs que son auteur a finalement décidé de le publier en Novembre prochain.

    Le prologue trouve le protagoniste au tournant de son existence, émergeant douloureusement d'un coma à l'hôpital Georges Pompidou à Paris. La consommation de drogues et d'alcool, son profond mal-être, jusqu'à ses rapports intimes non protégés avec son petit-ami séropositif, trahissent un comportement désespéré, suicidaire, destructeur envers lui-même ; pourtant, de nouveau pour cette énième tentative de mettre fin à ses tourments, Alan Jamain à l'aube de ses dix-huit ans a finalement appelé les secours. Loin d'être immature, le jeune homme dissimule de profondes blessures intérieures, qui le rongent d'autant plus qu'il ne s'en livre à personne ; l'amertume a pesé de tout son poids sur ses propres faiblesses, l'entraînant au fond de sa détresse solitaire... mais il ne peut se résoudre à laisser Hugo, l'enfant qu'il a eu avec Laura avant qu'elle ne meurt trois ans auparavant, derrière lui sans ciller. Après trente-trois jours interné en centre psychiatrique, Alan - s'exprimant à la première personne dans la majeure partie du roman - prend cette fois la ferme décision de changer de vie et de comportement dans le but de récupérer son fils et de l'éduquer lui-même ; les trois parties suivantes confortent sa détermination et prouvent son attachement paternel à l'enfant.

    Les dix premiers chapitres révèlent l'enfance peu joyeuse d'Alan et les circonstances à l'origine de ses tendances mélancoliques, mais surtout la concrétisation de ses choix vis-à-vis de lui-même et de Hugo. Il avoue enfin l'existence de ce dernier à sa famille, puis à ses collègues au salon de coiffure où il travaille, surmontant sa crainte du jugement des autres auquel il expose également son fils et assumant pour de bon ce secret lourd de nostalgie pour la nouvelle année à venir. L'impatience le pousse alors à prendre une décision discutable à bien des niveaux, mais elle atteste surtout de la résolution du protagoniste. Alan Jamain affirme et fortifie sa personnalité au fil du temps, de ses expériences professionnelles et de ses échanges, intimes ou furtifs, avec les personnages qu'il croise... tandis que son coeur, blessé et solitaire, se garde obstinément de ses propres émois et des approches bienveillantes.  

    Sans se laisser aspirer par la tornade sans fin des débats chers aux polémiques politiques et sociales, l'auteur aborde des thèmes sensibles aussi modestement qu'ils peuvent concerner la vie quotidienne des petites gens, marquées sans ménagement, mais gardant la force d'espérer des jours meilleurs. Le personnage principal en est un parfait révélateur, exposé pathétique et nauséeux dès le prologue du roman à l'hôpital, rejetté par un père exigeant, brisé par l'agonie de son amie cancéreuse, à la dernière volonté de laquelle il a cédé en lui permettant de donner la vie avant de mourir ; il paraît d'autant plus désespéré qu'il est à peine majeur, et devrait être trop jeune pour avoir déjà subi tout cela... puis il trouve en lui la volonté de faire pour s'en sortir. Mathias P. Sagan distille sa propre conception de l'euthanasie sans la forcer, en appellant davantage le lecteur à la réflexion personnelle qu'à une réaction réfractaire ; de même, le prise de parole de Hugo, premier concerné, à propos du couple homosexuel l'élevant n'impose aucun argument, mais rappelle la priorité de l'intérêt de l'enfant.

    Alors qu'Alan agit, assume ses choix et évolue, son entourage réagit, s'engage, s'oppose ou s'éloigne ; et le temps faisant son oeuvre pour tous, des secrets se dévoilent, des erreurs se paient et des sentiments se transforment... Tous les personnages du roman sans exception reconnaîtront l'ironie de certaines situations ou de certains évènements, pour eux-mêmes comme pour les autres, appuyant la conviction selon laquelle l'existence, bien qu'imposant parfois de cruelles et longues difficultés, récompense toujours ceux qui luttent pour en tirer le meilleur.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, je me souviendrai de cet ouvrage comme l'un des rares à m'avoir non seulement vrillé les tripes, mais également mise au bord des larmes. Sans sombrer dans des engrenages inextricables, ni dans des intrigues à la mode américaine ou dans des polémiques politiques, Mathias P. Sagan retranscrit l'humble évolution d'un jeune homme ordinaire, accablé de tristesse et de solitude, qui décide simplement, mais fermement, de reprendre sa vie en main. L'ironie fera qu'à vouloir être fort pour deux, il le sera véritablement à deux.

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  • Nos Silences, de Christelle Verhoest

    Romance contemporaine autopubliée de genre M/M, vingt-quatrième oeuvre de l'auteure normande.

    Confirmée dans l'autopublication, Christelle Verhoest écrit depuis l'enfance et tire ses idées pour des romans aussi bien de photographies anonymes dont les détails agitent son imagination, de pensées furtives et inattendues que de ses propres expériences heureuses ou tourmentées qu'elle livre alors, avec ses mots et à travers ses personnages, dans la plupart des genres littéraires. Ce roman contemporain explore cette fois la dimension personnelle du tatouage corporel, par lequel leurs porteurs gardent trace des épreuves qu'ils ont subi et surmonté, exprimant - voire exorcisant - par l'encre ce qu'il leur est impossible par la parole.

    Le prologue oppose d'emblée la vision cynique de la maison familiale qu'en a Naïk Quellenec à celle généralement sécurisante du foyer chaleureux, justifiant ce point de vue par son enfance maltraitée auprès de sa belle-famille et dans l'ignorance, voire l'indifférence de son propre père veuf. Ayant quitté de lui-même le logis à sa majorité, le jeune homme - s'exprimant dans la première partie de l'oeuvre à la première personne - semble pourtant ne pas en avoir éprouvé de réel soulagement. Il trahit une certaine distance vis-à-vis du petit garçon introverti qu'il était, dont il parle à la troisième personne et qu'il place dans le cadre naïf d'un conte de fée qui aurait juste mal tourné. Ce premier silence d'enfant des années durant, prenant sur lui la responsabilité des sévices que lui faisaient subir ses proches, n'a transmis que honte et amertume à l'adulte ne pouvant - ni ne voulant - se poser en victime prostrée ; à vingt ans, provocateur mais sensible, Naïk poursuit sa vie sans parler de son passé à quiconque et le ferait en solitaire s'il n'y avait Karl, un étudiant sympathique, pour s'obstiner à lui tenir amicalement compagnie. Ce dernier lui propose un jour un emploi provisoire de secrétaire auprès d'Armel Guelven, cadet d'une famille bourgeoise immobilisé suite à une mauvaise chute.

    L'attirance charnelle est immédiate et forte entre les deux hommes ; mais la méfiance et l'orgueil les maintiennent à une distance préventive et froide l'un de l'autre, limitant leurs propos à ceux concernant l'écriture du roman d'Armel, tandis que leurs forts caractères les poussent à se défier verbalement, à éprouver leur désir mutuel de regards fiévreux. Leurs tatouages respectifs, dont ils comparent et s'expliquent les symboles, les rapprochent physiquement, puis confirment les premiers signes amoureux. L'agression de Naïk par Iwan, le frère aîné d'Armel, oblige ce dernier à prendre ses distances avec son amant, le temps de s'émanciper de ses proches et de leur déclarer son homosexualité ; mais bien qu'il ait exhorté Naïk à être patient dans l'attente de ses nouvelles, celui-ci est gagné par l'incertitude et s'imagine leur relation terminée... jusqu'à ce qu'Armel le tire d'une violente altercation à la sortie d'un bar et le conduise chez lui, l'invitant à partager sa vie. Sur l'île bretonne de Locmelar appartenant à la famille des Guelven, Armel narre la légende de Melan, fils renié et brisé de la lignée qui s'est élevé à force de détermination, et auquel il peut s'identifier ; Naïk quant à lui rompt le silence sur son enfance avilie. Leur idylle se concrétise par l'aveu mutuel de leurs sentiments et par la réalisation d'un même tatouage, une rose rouge épineuse, en bas de leurs dos.

    La seconde partie du roman laisse la parole à Armel Guelven, qui constate la disparition de Naïk comme des affaires de celui-ci de leur foyer, plongé dans un silence faisant écho seul aux interrogations du jeune homme frustré. Se confronter à Gildas Quellenec et évaluer l'indifférence qui a fait de l'enfant maltraité un adulte introverti, doutant perpétuellement de lui-même comme des autres, aide Armel à pardonner à Naïk de s'être enfui, et renforce son affection protectrice envers son compagnon comme son désir de le rejoindre ; ce qu'il réussit par la suite auprès de son éditeur. Cependant, Naïk se révèle atteint d'atrophie optique de Leber, tourmenté et fragilisé, au point de laisser apercevoir à son partenaire lors de leurs retrouvailles le petit garçon opprimé qu'il a été. Le couple s'apprivoise de nouveau peu à peu, retrouve ses repères entre tâtonnements, doutes et impatience ; entre séances à la piscine, échanges houleux et aveux amoureux. La visite de Gildas Quellenec donne à son fils l'occasion de lui crier sa rancoeur ; mais l'agression sur l'aire de stationnement ravive d'autant les tourments d'enfance dans son esprit.  Il remet à nouveau en question le statut de son couple, homosexuel et handicapé, au sein de la société actuelle... mais son compagnon le rassure, avec la détermination de leurs sentiments prête à soutenir la rééducation de ses jambes blessées, afin de se retrouver plus épris que jamais l'un de l'autre.

    Après la révélation sur les véritables circonstances de la tentative de suicide d'Armel, le vingt-huitième épisode du roman reprend le point de vue de Naïk, qui a décidé de régler ses comptes avec ses beaux-frères Ronan et Kenan pour extérioriser ses angoisses et vivre enfin sereinement. Le chapitre suivant retrouve alors une dernière fois l'expression de son partenaire pour leurs définitives retrouvailles ; puis l'épilogue conclut le récit avec un avis qui se veut purement objectif, celui d'une journaliste de l'agence Ouest Infos, sur l'avenir heureux de Naïk et Armel ensemble, désormais écrivains à succès et parents adoptifs de deux enfants handicapés.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'aurais lu cette romance tourmentée d'une seule traite si je n'avais écouté que moi. Christelle Verhoest ne s'engage pas explicitement dans cette oeuvre contre l'homophobie, comme elle n'insiste pas sur le statut de victime des protagonistes. Leurs existences et leur vie commune doivent souvent leurs épreuves à la jalousie, à l'égoïsme et à la stupidité des autres ; mais une fois rompus les silences personnels, leur attachement mutuel, fort de leurs déterminations, les surmonte l'un après l'autre. Même la maladie et le handicap leur donnent finalement une occasion de plus de se prouver leur sincérité et d'être fiers de s'aimer, quoi que puisse en dire la société.

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