• Le Restaurant de l'Amour Retrouvé, d'Ogawa Ito

     Premier roman de l'auteure de livres pour enfants, publié au Japon en 2008, adapté en long-métrage par Mai Taminaga en 2010 et récompensé du Prix Etalage de la Cuisine 2011.

    Rinco, jeune Japonaise de vingt-cinq ans, rentre un soir à l'appartement qu'elle partage avec son petit ami à Tokyo et le constate vidé de leurs meubles et de leurs affaires à tous deux, sans le moindre mot d'explication ; seule reste, judicieusement placée dans le réduit du compteur à gaz, la jarre de saumure héritée de sa grand-mère, précieuse plus que toute autre chose à ses yeux. Elle retourne donc, après dix années d'absence, dans son village natal et chez sa mère Ruriko qu'elle méprise profondément, tout en se rendant compte qu'elle a perdu sa voix en chemin.

    Blessée par la trahison de son conjoint au point d'en être devenue aphone, Rinco - s'exprimant à la première personne du singulier - cherche tout d'abord dans le potager de la demeure familiale qu'elle a quitté sur un coup de tête la bouteille remplie d'économies que sa mère cache en terre, pour y trouver à la place sa propre boîte à souvenirs qu'elle avait elle-même enterrée. Elle retrouve avec à la fois nostalgie et exaspération le modeste village au pied des Mamelons de son enfance, l'ancien vacataire de son école Kumakichi, le vieux figuier au pied duquel elle coupe ses longs cheveux, le hululement de Papy Hibou à minuit, les stations thermales et les petits commerces aux devantures usées désormais fermés... Afin de ne pas se laisser dominer par l'accablement, la jeune femme décide d'ouvrir son restaurant comme elle en rêve depuis toujours, abordant alors avec intérêt et ferveur l'aspect terrien de la collectivité, avec ses cultures sans apports chimiques comme ses produits locaux dont elle compte se servir en cuisine. Elle adapte la remise abandonnée à l'arrière de la maison de sa mère, la décore à son idée avec des matières minérales, des teintes chaudes et des objets artisanaux, avant de baptiser l'endroit du nom de L'Escargot - en référence à la coquille que ce dernier porte inexorablement sur son dos, prêt à s'y ressourcer, voire à s'y réfugier en cas de souci - et de se vouer à sa passion culinaire.

    Forte de ses expériences dans divers établissements de la capitale, des recettes apprises de sa grand-mère et de son propre talent, Rinco accueille ses clients et confectionne des plats en accord avec leurs personnalités et leurs goûts, dans l'espoir de combler autant leurs sens que leurs esprits. Attentive aux étapes de préparation des menus, à leurs équilibres nutritifs et digestifs, minutieuse quant à leurs accompagnements jusqu'à leurs présentations dans les plats de service, elle voue un véritable respect mêlé de reconnaissance aux ingrédients dont elle veille à exploiter la moindre fibre et tous les bienfaits, adressant ses hommages aux divinités qui l'accompagnent et qui la guident aux fourneaux. Ses repas porteurs de ses émotions et de ses voeux, vrais bien que muets, marquent et secouent non seulement le palais de ses convives, mais leurs existences même ; les sensibilités réveillées, les souvenirs ravivés, les coeurs réchauffés chassent des années de tristesse et favorisent de tendres idylles, au point de susciter des rumeurs selon lesquelles les recettes de Rinco exauceraient les voeux les plus chers et combleraient les émois amoureux.

    Mais au premier hiver, après plusieurs mois d'activité à L'Escargot dédiée au bien des autres, le sort rappelle à celle-ci qu'il est aussi question de sa propre vie. Si elle ne songe plus guère à la trahison de son petit ami, Rinco garde beaucoup de ressentiments vis-à-vis de sa mère. Lorsque Ruriko avoue n'avoir plus que quelques semaines à vivre, la jeune femme s'applique à honorer sa seule et dernière requête envers elle : imaginer et réaliser dans son intégralité le repas de ses noces avec Shuichi, son amour de jeunesse retrouvé, en se servant de la chair d'Hermès, la truie domestique qu'elle chérit comme un second enfant depuis le départ de sa fille unique. Les plats et la cérémonie sont très réussis, mais Rinco ne trouve pas le courage de se réconcilier avec Ruriko avant que celle-ci ne succombe à la maladie, et sombre dans une affliction plus pesante encore qu'au début du roman, abandonnant même L'Escargot plusieurs semaines, abrutie de remords. Ce sera à son tour, après la lecture d'une lettre d'adieu laissée par sa mère et l'écoute d'explications auprès de Shuichi, de déguster un plat préparé cette fois pour elle-même, avec toute sa ferveur et toute sa compassion qu'elle a réservé jusqu'alors à ses clients, afin de reconnaître et d'accepter l'amour maladroit et craintif qu'il y avait entre elles deux ; afin de réussir à se pardonner et à soulager ses peines, retrouvant la voix en même temps que l'envie de vivre et de la partager avec autrui.

    M/M Plus personnellement, j'ai apprécié cet ouvrage comme on déguste un plat généreux et agréable en bouche, de ceux qui savent retenir à table les plus stressés et pressés des convives. Les recettes et ingrédients japonais ou étrangers cités ne laisseront pas l'ignorance du lecteur à leurs propos gêner son immersion : les aliments et préparations culinaires sont détaillés en apparence et en goût, jusqu'à leurs consistances et aux plats de service pour le faire saliver de gourmandise, puis l'accompagner aux côtés de Rinco, de ses proches et de ses clients dans ces instants évoqués de la vie, de l'amour et de l'espoir, aux saveurs alternées en douceur et amertume.

    Princesse Bari >>

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  • Les Joyaux du Paradis, de Donna Leon

    Roman de genre Thriller, écrit par l'auteure américaine et paru en Octobre 2012.

    Donna Leon naît le 28 Septembre 1942 dans l'Etat du New Jersey, aux Etats-Unis. Elle enchaîne différents métiers à travers le monde, notamment guide à Rome, rédactrice publicitaire à Londres, enseignante en Littérature en Suisse, en Iran, en Arabie Saoudite, en Chine et en Italie, dont elle tombe amoureuse et où lui vient en 1992 l'idée de son tout premier roman Mort à la Fenice, mettant en scène son commissaire fétiche Guido Brunetti. Bien que ses vingt-sept ouvrages publiés, puis traduits en vingt langues pour leur distribution dans vingt-neuf pays l'aient fait connaître de façon internationale, elle s'oppose fermement à leur adaptation dans la langue italienne, tenant à son anonymat et à sa vie privée à Venise, où elle réside encore aujourd'hui depuis 1969.

    La passion de l'écrivaine pour la Sérénissime rejoint celle qu'elle a pour les oeuvres mélodieuses qui y sont jouées, surtout celles de Georg Friedrich Haendel. Comme le projet de son premier récit s'est révélé à l'occasion d'une soirée entre amis à l'Opéra de Venise, celui d'écrire Les Joyaux du Paradis lui est légèrement soufflé par la cantatrice Cecilia Bartoli, qui s'applique alors à réhabiliter Agostino Steffani, compositeur italien baroque qui a marqué son époque de 1674 à sa mort en 1728, autant par ses productions lyriques que par ses fonctions diplomatiques d'évêque catholique, mais qui n'est pourtant guère connu du grand public. Ayant voyagé sans cesse à travers l'Europe du fait de son statut épiscopal, il ne figure pas parmi les figures emblématiques de l'Italie musicale, car il passa la majeure partie de sa vie en Allemagne ; et en tant qu'Italien, il ne compte pas non plus parmi celles de la nation germanique. Sa biographie jalonnée d'ambiguités et de mystères inspire Donna Leon pour une enquête sur le personnage, autant que Cecilia Bartoli pour un album sur ses oeuvres ; les deux productions attendues comme des évènements médiatiques paraîtront respectivement en Octobre et Novembre 2012.

    Caterina Pellegrini, responsable d'unité de recherche à l'Ecole de musique de Chetham, à Manchester au Royaume-Uni, répond à l'offre de recrutement d'un musicologue émise par la Fondazione Musicale Italo-Tedesca, située à Venise. Elle se rend rapidement compte des subterfuges légaux dont ont usé ses employeurs, Franco Scapinelli et Umberto Stievani, descendants de cousins d'Agostino Steffani et seuls présumés héritiers de ce dernier, pour acquérir les deux malles qu'en avaient conservé le Vatican, ainsi que de la convoitise suspicieuse qui entoure sa traduction des lettres qu'elles contiennent et ses recherches complémentaires à la bibliothèque Marciana, et de l'attente cupide d'y trouver un testament écrit, voire un trésor réputé composé de pierres précieuses. La jeune femme découvre peu à peu la personnalité du vicaire et spécule sur son implication dans l'affaire Königsmarck, par laquelle l'assassinat du Comte du même nom, de la main de l'abbé Nicolo Montalbano, rendit public ses rapports adultérins avec Sophie-Dorothée de Brunswick-Lunebourg, épouse du Prince George de Hanovre ; et à la suite de laquelle Agostino Steffani reçut non seulement la confession du meurtrier même, mais également les fameux Joyaux du Paradis qui devaient expier son impardonnable forfait.

    De la Riva dei Sette Martiri à la Piazza San Marco, la protagoniste mène son enquête avec admiration, retrouvant avec nostalgie et émotion les monuments emblématiques et la prestance caractéristique de sa ville natale. Mais bien que sincèrement attachée à la belle et raffinée Venise, l'auteure ne manque pas dans ce roman d'en révéler les envers orgueilleux et corrompus, comme dans ceux retraçant les investigations du commissaire Guido Brunetti. Sous le regard indifférent de l'ange du Campanile San Giorgio Maggiore, les filatures intimidantes et l'espionnage subtil s'organisent, les vertus et les intérêts se défendent avec la loi et la mafia, aujourd'hui tout comme à l'époque ; la soeur même du personnage principal, qui a prononcé avec conviction ses voeux pour se consacrer aux valeurs de la religion catholique, les remet en cause avec désillusion, à la façon du compositeur circonspect, mais désabusé dans sa correspondance privée.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai eu la chance de pouvoir apprécier cet ouvrage mettant en avant la biographie d'Agostino Steffani, en écoutant les albums Mission et Stabat Mater de Cecilia Bartoli, qui m'ont ouvert l'accès à une dimension très concrète des connaissances et de la lecture des partitions livrées par l'auteure à travers son personnage principal. Sans jouer d'une atmosphère particulièrement glauque ou d'enjeux difficiles, Donna Leon se concentre néanmoins avec méthode sur ses recherches historiques passionnantes et se fait, à l'instar de la cantatrice dans le domaine musical, la porte-parole littéraire du talent du compositeur oublié, au coeur d'une Sérénissime immuable.

    L'Ombre Dansante du Dragon >>

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