• Le Masque d'Eurydice, de Patrick Ferrer

    Roman contemporain de genre Thriller, écrit par l'auteur de la trilogie emblématique Le Baiser de Pandore et paru en autoédition le 26 Juillet 2016.

    La tendre enfance de Patrick Ferrer, né en Juillet 1957 dans la ville d'Oran, en Algérie, côtoie la violence et la tragédie de la Guerre d'Indépendance de l'ancienne colonie française, avant que sa famille ne rejoigne la métropole quelques années plus tard. Le jeune garçon nourrit une passion profonde pour les livres anciens, pour les récits imaginaires ou extraordinaires qu'ils peuvent contenir et dans lesquels s'aventure son esprit rêveur ; notamment, pendant d'ennuyeuses heures de classe... Il quitte d'ailleurs l'école à ses dix-huit ans, pressé d'exercer divers métiers gravitant autour des ouvrages brochés, de leur revente d'occasion en tant que bouquiniste à leur conception technique dans une maison d'édition. Mais si l'écriture de romans fait autant partie de ses envies que de ses projets, il ne s'estime prêt à écrire son premier manuscrit et à le soumettre à des éditeurs professionnels qu'au bout d'une trentaine d'années, en 2012. Resté cinq mois sans réponse, il le rend accessible en ligne gracieusement à de potentiels lecteurs sur le site MonBestSeller. Le premier volume de sa trilogie Le Baiser de Pandore y rencontre un succès certain et sélectionné pour les Prix Amazon et MonBestSeller Numérique 2015, symbolise l'émergence de la publication indépendante.

    A peine débarqué à Paris du haut de ses vingt ans, le futur auteur se donne le temps de se connaître lui-même, de découvrir autrui, puis de gagner en expérience et en sagesse avant de concrétiser ses ambitions littéraires. Le quotidien brutal et précaire de la Révolution Algérienne a laissé sur son enfance une empreinte traumatique, dont il y puise pourtant une aspiration constante à un monde meilleur, dans lequel les Hommes s'épanouiraient ensemble et se soutiendraient les uns les autres ; mais son sentiment de révolte en est d'autant plus vif face à l'indifférence et aux abus de personnes d'influence satisfaisant leurs intérêts égoïstes sur les drames humains. Son style d'écriture oscille entre poésie et cynisme, entre ironie et cruauté pour plonger sans ménagement ses protagonistes au coeur d'une intrigue abrupte, remuée par l'Histoire et l'actualité, dont les vagues de noirceur menacent continuellement de les submerger... Et ils ne peuvent compter que sur leur propre volonté et leur tenacité pour espérer y survivre. Cette force incroyable dont ils peuvent être capables, jusqu'à "transcender le temps et la vie, les émotions et la narration" s'incarne particulièrement dans le genre féminin, sublimé en ombres et en lumières, et dans cette tendance de Patrick Ferrer à ne présumer ni de ce qu'il va finalement écrire, ni de ce que le lecteur va en interpréter.

    Ce récit se découpe en plusieurs chapitres nommés d'après les vers du poème Le Léthé, tiré lui-même du célèbre recueil Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. On y retrouve le dégoût de la malignité d'autrui comme de la faiblesse de soi, le souhait désespéré d'une existence heureuse au prix de la rédemption originelle, soulignés de références à la mythologie grecque et aux audaces érotiques. Il est intéressant de savoir que ces vers, rapprochant par leur essence le poête censuré du XIXème siècle et l'auteur indépendant de La Baie des Trépassés, ont été découverts par celui-ci après avoir achevé d'écrire Le Masque d'Eurydice.

    Cernée d'anges de marbre et d'ombres trompeuses, le personnage de L'Echalote suit sans faillir son amant, piquée de curiosité entre mauvais souvenirs et faux-semblants, secrets et mensonges, trahisons et froideurs ; du siège de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure à Levallois-Perret, en passant par Montreuil et Marseille, à l'église Westerkerk à Amsterdam. Elle cherchera ensuite l'oubli de ses propres tourments, l'absolution de ses fautes, la paix de son âme... Mais de l'une à l'autre des rives du fleuve Léthé, l'Enfer ne relâche pas si aisément ses proies.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai découvert Patrick Ferrer par l'intermédiaire de son recueil de nouvelles La Baie des Trépassés. J'y avais perçu un style d'écriture pragmatique, subtilement oxymorique, renseigné et impliqué dans ses thèmes intimistes et philosophiques... Et la lecture de ce récit plus long a satisfait toutes mes attentes. Elle est de celles qui grandissent le lecteur au fil des mots et des dénouements - pourtant sans prétention ni même intention de la part de l'auteur, qui se contente d'écrire et d'offrir - et ce dernier s'abreuve volontiers à son empathie et à sa sagesse, acceptant son présent avec délectation et empressement.

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  • L'Ombre Dansante du Dragon, de Jeremy Henry

    Premier roman autopublié de genres Policier et M/M de l'auteur, paru le 05 Décembre 2015.

    Auteur prolifique sur Internet depuis deux ans, Jeremy Henry s'est passionné pour les emblématiques Yakuzas en lisant les oeuvres originales des dessinatrices japonaises Akira Norikazu, Kou Yoneda, Hiro Madarame et Asia Watanabe. Ses recherches approfondies quant aux règles traditionnelles, à la structure hiérarchique, aux implantations économiques et aux familles historiques de l'organisation mafieuse nippone à l'influence inetrnationale ont inspiré, puis déterminé ses propres tendances littéraires : que leurs intrigues se déroulent au coeur du Japon ou à l'étranger, en 2015 ou à l'époque napoléonienne, sa saga principale Comme un Oiseau compte aujourd'hui douze de ses quinze romans achevés ; L'Ombre Dansante du Dragon marque ses débuts dans l'autoédition. 

    Alors que des agressions homophobes rendent dangereuses les rues du quartier Shinjuku de la capitale de Tokyo, l'inspecteur de police Shoji Kudo chargé de l'enquête rencontre une nuit un intriguant motard répondant au nom de Ren, qu'il croise de nouveau dans un bar fréquenté par deux des victimes. S'il se surprend à éprouver une forte attirance pour le jeune homme en dépit de son hétérosexualité, ce dernier bien qu'homosexuel se méfie de ses propres penchants pour l'agent, dont il repousse effrontément les avances ; mais l'obstination de Shoji réussit à abattre ses défenses, mettant en évidence des sentiments amoureux naissants et mutuels. Lorsque Ren se révèle être de la famille Sasakawa attachée au clan yakuza Tachibana, le couple se retrouve tiraillé entre les menaces de la Mafia et les devoirs de l'Ordre, entre la prépondérance familiale et la liberté individuelle... entre les sentiments et la raison.

    Le style d'écriture de l'auteur s'appuie sur la narration objective, concise et immersive commune aux diverses scènes du roman. Les lieux, les objets comme les personnages sont décrits de manière très pragmatique - mais néanmoins précise, forte des connaissances acquises sur les syndicats criminels japonais - , afin de laisser une place dominante aux faits et aux détails importants de l'intrigue ; tandis qu'aux longues réflexions et tergiversations, sont privilégiées les pensées réactives des deux protagonistes, immédiates et directes, émises à la première personne du singulier et rappelant celles généralement utilisées dans les oeuvres graphiques des mangakas que l'écrivain apprécie. Exempt d'explications pesantes comme d'énumérations superflues, le rythme énergique du récit s'en trouve davantage soutenu, en adéquation avec la temporalité du lecteur qui se sent entraîné au coeur de l'action, son imagination stimulée se chargeant seule de compléter les maigres descriptions visuelles. Les introspections des deux personnages principaux rendent également leurs personnalités, leur romance et leurs choix d'autant plus compréhensibles et accessibles qu'elles sont exprimées de façon sincère et nette, sans doutes ni formules.

    Ren Sasakawa et Shoji Kudo sont deux hommes solitaires, entre lesquels s'installe dès leur première rencontre une attirance instinctive des singularités, des complémentarités si puissante qu'elle en devient rapidement passionnée, charnelle et amoureuse. Le bonheur et la candeur du yakuza, meurtri et désabusé, se ravivent et s'exposent face à la détermination infaillible de l'inspecteur de police ; ce dernier, loyal et exalté, s'attache au jeune motard au point de mettre sa carrière et sa vie en péril pour lui. La maturité de Jeremy Henry évite les conflits et arguments récurrents de la romance contradictoire entre un criminel et un policier en attribuant à ses deux protagonistes une forte volonté et une identité assumée qui se reconnaissent sans s'effacer l'une devant l'autre, ni exiger de changement l'une de l'autre. Leurs tourments autant que leurs faiblesses se complètent, les font se désirer, se protéger et se chercher à tour de rôle... sans oublier leurs personnalités respectives, parvenant à s'accepter mutuellement comme à se développer et à s'affirmer individuellement, au-delà même de leur seul couple.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'associe ma lecture de ce roman à l'allégorie du tatouage de Ren Sasakawa : une association de beauté et de violence, de virilité et de romantisme, d'orgueil et d'ingénuité... pareille au contraste offert par une fleur délicate et claire sur un fond d'un noir dense, à côté de laquelle repose une unique goutte de sang. Le thème des sentiments interdits entre membres de groupes antagonistes n'est pas inédit, mais Jeremy Henry préfère se consacrer à ses protagonistes, plus sensibles et complexes que les apparences ou les clichés ne le laissent paraître ; et dont les solitudes lourdes en quête d'amour véritable portent l'essence de la saga Comme un Oiseau.

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  • Les Joyaux du Paradis, de Donna Leon

    Roman de genre Thriller, écrit par l'auteure américaine et paru en Octobre 2012.

    Donna Leon naît le 28 Septembre 1942 dans l'Etat du New Jersey, aux Etats-Unis. Elle enchaîne différents métiers à travers le monde, notamment guide à Rome, rédactrice publicitaire à Londres, enseignante en Littérature en Suisse, en Iran, en Arabie Saoudite, en Chine et en Italie, dont elle tombe amoureuse et où lui vient en 1992 l'idée de son tout premier roman Mort à la Fenice, mettant en scène son commissaire fétiche Guido Brunetti. Bien que ses vingt-sept ouvrages publiés, puis traduits en vingt langues pour leur distribution dans vingt-neuf pays l'aient fait connaître de façon internationale, elle s'oppose fermement à leur adaptation dans la langue italienne, tenant à son anonymat et à sa vie privée à Venise, où elle réside encore aujourd'hui depuis 1969.

    La passion de l'écrivaine pour la Sérénissime rejoint celle qu'elle a pour les oeuvres mélodieuses qui y sont jouées, surtout celles de Georg Friedrich Haendel. Comme le projet de son premier récit s'est révélé à l'occasion d'une soirée entre amis à l'Opéra de Venise, celui d'écrire Les Joyaux du Paradis lui est légèrement soufflé par la cantatrice Cecilia Bartoli, qui s'applique alors à réhabiliter Agostino Steffani, compositeur italien baroque qui a marqué son époque de 1674 à sa mort en 1728, autant par ses productions lyriques que par ses fonctions diplomatiques d'évêque catholique, mais qui n'est pourtant guère connu du grand public. Ayant voyagé sans cesse à travers l'Europe du fait de son statut épiscopal, il ne figure pas parmi les figures emblématiques de l'Italie musicale, car il passa la majeure partie de sa vie en Allemagne ; et en tant qu'Italien, il ne compte pas non plus parmi celles de la nation germanique. Sa biographie jalonnée d'ambiguités et de mystères inspire Donna Leon pour une enquête sur le personnage, autant que Cecilia Bartoli pour un album sur ses oeuvres ; les deux productions attendues comme des évènements médiatiques paraîtront respectivement en Octobre et Novembre 2012.

    Caterina Pellegrini, responsable d'unité de recherche à l'Ecole de musique de Chetham, à Manchester au Royaume-Uni, répond à l'offre de recrutement d'un musicologue émise par la Fondazione Musicale Italo-Tedesca, située à Venise. Elle se rend rapidement compte des subterfuges légaux dont ont usé ses employeurs, Franco Scapinelli et Umberto Stievani, descendants de cousins d'Agostino Steffani et seuls présumés héritiers de ce dernier, pour acquérir les deux malles qu'en avaient conservé le Vatican, ainsi que de la convoitise suspicieuse qui entoure sa traduction des lettres qu'elles contiennent et ses recherches complémentaires à la bibliothèque Marciana, et de l'attente cupide d'y trouver un testament écrit, voire un trésor réputé composé de pierres précieuses. La jeune femme découvre peu à peu la personnalité du vicaire et spécule sur son implication dans l'affaire Königsmarck, par laquelle l'assassinat du Comte du même nom, de la main de l'abbé Nicolo Montalbano, rendit public ses rapports adultérins avec Sophie-Dorothée de Brunswick-Lunebourg, épouse du Prince George de Hanovre ; et à la suite de laquelle Agostino Steffani reçut non seulement la confession du meurtrier même, mais également les fameux Joyaux du Paradis qui devaient expier son impardonnable forfait.

    De la Riva dei Sette Martiri à la Piazza San Marco, la protagoniste mène son enquête avec admiration, retrouvant avec nostalgie et émotion les monuments emblématiques et la prestance caractéristique de sa ville natale. Mais bien que sincèrement attachée à la belle et raffinée Venise, l'auteure ne manque pas dans ce roman d'en révéler les envers orgueilleux et corrompus, comme dans ceux retraçant les investigations du commissaire Guido Brunetti. Sous le regard indifférent de l'ange du Campanile San Giorgio Maggiore, les filatures intimidantes et l'espionnage subtil s'organisent, les vertus et les intérêts se défendent avec la loi et la mafia, aujourd'hui tout comme à l'époque ; la soeur même du personnage principal, qui a prononcé avec conviction ses voeux pour se consacrer aux valeurs de la religion catholique, les remet en cause avec désillusion, à la façon du compositeur circonspect, mais désabusé dans sa correspondance privée.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, j'ai eu la chance de pouvoir apprécier cet ouvrage mettant en avant la biographie d'Agostino Steffani, en écoutant les albums Mission et Stabat Mater de Cecilia Bartoli, qui m'ont ouvert l'accès à une dimension très concrète des connaissances et de la lecture des partitions livrées par l'auteure à travers son personnage principal. Sans jouer d'une atmosphère particulièrement glauque ou d'enjeux difficiles, Donna Leon se concentre néanmoins avec méthode sur ses recherches historiques passionnantes et se fait, à l'instar de la cantatrice dans le domaine musical, la porte-parole littéraire du talent du compositeur oublié, au coeur d'une Sérénissime immuable.

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  • Mirage, d'Edogawa Ranpo

    Recueil de deux nouvelles de genre Thriller, Mirage et Vermine, parues pour la première fois au Japon en 1929, traduites et publiées en France en 2000.

    Edogawa Ranpo, l'un des écrivains fondateurs des genres Thriller et Policier au Japon, a été particulièrement prolifique dans l'écriture de ses oeuvres aux intrigues criminelles, réhaussées de psychologie malsaine et d'érotisme grotesque, entre 1923 et 1939. Une même année peut avoir vu s'écrire sous sa plume plus d'un récit ; notamment 1925 avec cinq textes, dont La Chambre Rouge, La Chaise Humaine et les deux premières aventures de son fameux détective Akechi Kogoro, ainsi que 1929 avec également cinq fictions, dont Mirage et Vermine, traduits et rassemblés dans ce même recueil.

    La première nouvelle raconte l'étrange rencontre vécue par un jeune homme anonyme, s'exprimant à la première du singulier. Le narrateur met sérieusement en doute la réalité de son expérience, survenue après avoir assisté deux heures durant à un fameux mirage de la plage d'Uozu, au bord de la Mer du Japon dans la préfecture de Toyama, résultant de jeux de brume, de lumières et de reflets, auxquels s'ajoutent la nuit de Mars à Juin les lueurs bleues phosphorescentes des calamars lucioles qui s'accouplent par bancs entiers dans cette baie. A bord du train du soir le ramenant à Tokyo, il finit par adresser la parole au seul voyageur avec lui dans le wagon, un homme âgé possédant un oshie - tableau traditionnel japonais matelassé et fait de pure soie - que ce dernier lui propose de regarder de plus près grâce à de vieilles jumelles. Le protagoniste avise alors les détails particulièrement fins, au point qu'il en semble vivant, du couple insolite de l'oeuvre artistique formé par une belle jeune fille en kimono traditionnel et un vieillard quelconque en costume occidental. L'étrange propriétaire du cadre raconte ensuite l'histoire de ces derniers.

    La seconde intrigue, plus longue que la précédente, s'est maintenue quarante-neuvième au Tozai Mystery 100, classement des cent meilleurs romans de genre Policier de l'Orient et de l'Occident, établi par la maison d'édition Bungeishunju - qui décerne également les prestigieux prix littéraires Akutagawa et Naoki - entre 1985 et 2012. Le personnage principal, Masaki Aoki, souffre de misanthropie depuis sa plus tendre enfance, de façon si absolue qu'elle se manifeste physiquement par une profonde introversion, des spasmes et des larmes incontrôlables. A vingt-sept ans, il retrouve son amour d'enfance, Kinoshita Fuyo, désormais actrice célèbre de théâtre. Alors qu'il croit lui inspirer un intérêt sincère et s'enhardit à lui avouer sa propre attirance pour elle, la jeune femme se moque de lui dans une crise de fou rire. Profondément blessé, le jeune homme la suit à son insu, l'épie sur scène jusque dans les chambres d'hôtel où elle rejoint Ikeuchi Kotaro, son amant et ami d'enfance de Masaki ; la colère de son orgueil rabaissé et la souffrance de ses sentiments bafoués, exacerbés par son voyeurisme obstiné comme par la découverte de Fuyo charnelle et vulgaire en privé, lui inspirent une manière à la fois machiavélique et audacieuse de la tuer. 

    L'obsession envers la beauté féminine conserve une même dimension pathétique et une même finalité tragique dans ces deux récits de l'écrivain japonais, bien qu'ils s'opposent dans leurs formes d'écriture et s'appuient sur les profils psychologiques résolument différents des protagonistes masculins. La jeune fille de soie Yaoya Oshichi et l'actrice de théâtre Kinoshita Fuyo sont sublimées, élevées à l'image de la perfection, à travers les lentilles optiques des jumelles pour la première et par la vision idyllique de l'amour naïf pour la seconde, au regard de leurs prétendants qui décident de les posséder à tout prix. Celui de la nouvelle Mirage subit cependant l'ironie du temps à travers son propre corps, certes rétréci de façon à pouvoir se glisser dans l'oshie, mais demeurant néanmoins mortel et vieillissant aux côtés de l'immuable Yaoya. Masaki Aoki de la nouvelle Vermine sombre de son côté dans une haine amoureuse, dans une passion malsaine qui le pousse à supprimer Fuyo, à obtenir son corps à défaut de son âme ; mais la décomposition du cadavre, dont le jeune homme s'épuisera à masquer par divers subterfuges les effets visibles, la lui ravira inexorablement.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, je recommande ce recueil aux lecteurs qui n'ont jamais lu Edogawa Ranpo et souhaitent le découvrir. Si les deux intrigues mettent en avant le style Ero-guro emblématique de l'auteur nippon, la première est écrite sous la forme d'un conte fantasmagorique et absurde, tandis que la seconde est nettement psychologique et mortelle. Les deux femmes ayant suscité des attentions si extrêmes d'hommes en pâmoison devant leurs beautés, figure de soie figée et actrice de théâtre vaniteuse, glissent pareillement à l'arrière-plan de la scène et laissent leurs admirateurs à leurs fantasmes personnels, aux conséquences de leurs actes désespérés.

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  • Sept Yeux de Chats, de Choi Jae-hoon

    Roman sud-coréen de genre Thriller édité en 2011, récompensé par le prix littéraire du journal quotidien national Hankouk Ilbo l'année suivante.

    Né à Séoul, en Corée du Sud en 1973, Choi Jae-hoon fait son service militaire obligatoire et apprend au cours de ses deux années au sein de l'armée à réfléchir sur lui-même. La lecture de L'Attrape-Coeur, de J.D. Salinger le marque profondément : paru en 1951, enseigné comme classique de la littérature aux Etats-Unis après avoir été placé dans la liste des Livres Bannis entre 1961 et 1982 pour s'être retrouvé en possession d'assassins emblématiques de l'Histoire américaine - notamment, Mark David Chapman qui a tué John Lennon, et John Warnock Hinckley Jr. qui a attenté à la vie de Ronald Reagan - , ce roman à la tournure autobiographique, abordant dans les termes injurieux d'un adolescent à la dérive des thèmes sociaux comme la sexualité, la marginalité et la prostitution, choque moins l'auteur coréen par son réalisme implacable que par le "vous", cet inconnu auquel s'adresse le protagoniste et qui se révèle autre que le lecteur, plaçant ce dernier dans une position inconfortable ; entre confident et voyeur. A cette interpellation singulière le désincarnant de sa propre réalité, Choi Jae-hoon estime selon ses propres mots, devoir "l'assassinat de son "moi" qui vivait tranquillement", pour être désormais "ce "moi" qui a survécu pour écrire des livres".

    Le roman commence ainsi, entamant la narration du chapitre Le Sixième Rêve à la première personne du singulier s'adressant à quelqu'un d'autre. Après quelques lignes, les pronoms changent et le point de vue passe de l'un à l'autre des six invités du chalet suspectant un hôte absent, comme une boule rebondissante d'un coin à un autre d'une pièce sans jamais atteindre l'ombre de l'assassin. L'énigme à huis clos, le mode opératoire d'un tueur en série, la survie en conditions extrêmes et la paranoïa donnent un ton résolument haletant et occidental tout au long de l'intrigue... qui s'achève à la page 67. Une seconde partie intitulée Equation d'une Vengeance suit et plusieurs indices poussent le lecteur à chercher et à reconnaître les personnages de Kang Minkyu, de Min Taesik, de Kim Hyeon-suk, de Yi Yeonu, de Oh Yeong-su et de Han Sena, afin de résoudre l'énigme précédente à partir de ces autres circonstances ; mais il ne s'agit ni de l'avenir, ni du passé, ni même vraiment des protagonistes eux-mêmes. Leurs personnalités, leurs qualifications, leurs caractéristiques se mélangent, se complètent, s'intervertissent au point de corrompre leur intégrité et jusqu'à leurs noms, faisant place au roman lui-même sur le devant de la scène par l'intermédiaire de la troisième partie π ; à la façon du traducteur M, le lecteur s'y oublie et dans l'ultime chapitre, le livre baptisé du nom même de celui qu'il tient en main lui échappe. Choi Jae-hoon a concentré tout son style et toutes ses idées, les a "mixé comme dans un blender" afin d'en exprimer, avec les mots dans cet ouvrage, les sensations et le chaos qui en résultent comme il l'aurait fait avec de la peinture sur une toile de lin.

    La construction du roman n'a pourtant rien d'anarchique ou d'abstrait. Au-delà de ses quatre parties pour les quatre mouvements de la composition La Jeune Fille et la Mort de Franz Schubert comme de celle de Salome Dances for Peace de Terry Riley, nombre de références littéraires et cinématographiques occidentales sèment leurs détails d'une partie à une autre, de l'objet le plus bénin - la clef de la chambre de Barbe Bleue, le chat et la chenille d'Alice au Pays des Merveilles, les cheveux roux de la gravure de Munch, le surnom de l'actrice française dans le long-métrage Lune de Fiel - à leurs thèmes qui ont souvent suscité la controverse à l'époque de leurs parutions - le fétichisme, les excès, la liberté sexuelle, la vengeance personnelle et l'obsession compulsive - . S'y ajoutent alors, juste au coin de l'oeil du lecteur, d'autres éléments récurrents, ordinaires glissés par l'auteur coréen comme des signatures d'un tueur en série sur une scène de crime, puis des allusions diverses, culturelles ou métaphysiques totalement fictives, inventées et appliquées comme les caprices d'un écrivain sur son oeuvre... ou d'une divinité sur un destin, cette dernière allant jusqu'à s'inviter auprès du traducteur M pour s'approprier le roman même, tout à son rôle d'entité gréco-romaine garante non seulement de l'immortalité, mais du concept de l'Infini, de la continuité sans répétition et perpétuellement renouvellée... à l'image du nombre π ou d'un labyrinthe sans issue qu'aurait pu concevoir l'artiste néerlandais Maurits Cornelis Escher.

    Le lecteur ne peut dire ce que sont devenus les protagonistes du début de l'ouvrage. Sont-ils morts ? Ont-ils fusionnés ? Ont-ils évolués, ou sont-ce leurs existences, leurs environnements qui ont changé ? A quel univers, de l'un à l'autre des chapitres, appartiennent ces mots qu'il est justement en train de lire ? L'auteur sud-coréen traite philosophie à travers des monologues ou dialogues simples, souvent intimes, parfois empreints de mélancolie et de condescendance, avec quelques touches d'absurdité, mais qui ne basculent jamais vers des citations élitistes ou des principes trop objectifs, gardant une expression et une approche résolument humaines et personnelles. L'identité de l'individu, dont les bases sont mises à mal par l'inconscient, la société, le hasard, le mensonge, les secrets, la gémellité, la famille, l'obsession, le fantasme... n'a plus tant d'importance dans ce jeu de poupées russes ; le nom même de l'écrivain disparaît sur la couverture de l'exemplaire du roman dans l'ultime chapitre éponyme, qui conclut de façon à reprendre la lecture du premier... ou à imaginer une nouvelle histoire.

    Harem, de Charlie Audern et Kaelig Lan Plus personnellement, je me souviendrai de cette oeuvre davantage pour elle-même, que pour son genre littéraire ou mon impression de lecture. Les références multiples, les détails en surimpression, les alternatives philosophiques et les revirements circonstanciels ont laissé plus sûrement leurs traces dans mon esprit que les subtilités malsaines de l'intrigue criminelle la plus sombre. Le lecteur se sent comme l'Alice de Lewis Caroll égarée au coeur d'un dédale de chemins différents et sans issue. Que sa raison fasse contrepoids ou non à la folie du Lapin Blanc, du Lièvre de Mars et du Chapelier, comme de la Reine de Coeur, des Cartes et du Dodo, l'oeil unique du Chat de Cheshire cligne d'amusement et de malice dans l'obscurité... et c'est là le dessein de l'auteur.

    Mirage >>

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